Prose poétique, épitaphe amoureux (2): La rencontre.

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Prose poétique, épitaphe amoureux (2): La rencontre. 

La rencontre.

La destinée des aimés peut prendre son temps, ou se décider en une seule journée. En fouillant dans les éboulements actuels, j’ai déterré une orbe de beauté elfique, le hasard magnifique d’un jour de Juillet 2005. Je me souviens…

Convocation de sensations et d’émotions, rationalité errante, combattante des démons, je te chasse un instant pour réussir du passé l’invocation! Je la revois ce jour-là. Je ne la connais pas encore. Elle n’est pas encore cette femme baudelairienne parée de mépris et d’or. Belle telle une hirondelle annonçant le printemps, elle a ses joues pleines qui disent des histoires de danses de gitans. Ses yeux agiles et bridés nourrissaient déjà d’une lumière subtile d’un soleil couchant rosé la rosée sentimentale abandonnée de mon âme romantique. 

Une première rencontre plus que prosaïque, si le hasard, gémeau équivoque et diabolique, ne s’était mêlé à nous rapprocher. Nous nous sommes rencontrés dans les livres, il ne pouvait en être autrement, nous les dévorons. Elle en fait des murs tangibles et inconscients qui construisent sa tanière, la sécurité de sa maison. Pour moi un équipage, ils me mènent tantôt en voyage, tantôt en apprentissage. Elle lit pour ressentir et se rassurer, je lis pour m’évader et douter. Nos motivations dissemblables n’empêchent que nous estimons Molière, Aragon, Yourcenar, Camus, ou Michaux comme des compagnons délectables. 

Les livres dont nous sommes ivres se sont avec les années accumulés, elle ne cesse d’en dénicher de nouveaux. Elle adore les titres ésotériques de ceux qui impliquent le mystère ou les imbrications mémorielles et psychologiques. Elle annote souvent la première page d’une date, d’une signature, d’un mot. Ainsi, le livre lui appartient, il est sien. Elle ne les corne pas, elle a trop de respect pour eux. Avec soin, elle utilise des marque-pages. Si elle pouvait en d’autres endroits être aussi sage…

Nous nous sommes rencontrés dans les livres, dans une bibliothèque, par un bel après-midi de Juillet. La tour de verre Est de la bibliothèque nationale de France monte des jardins intérieurs aux cieux du 13 ème arrondissement. Devant l’entrée, elle garde même en été à l’ombre une plate-forme où viennent fumer et discuter les étudiants un café à la main pour faire une pause dans leurs recherches et révisions. C’était mon cas, je discutais avec mon cousin, un ami, un second frère pour moi, un joyeux drille avec qui je passais le plus clair de mon temps dans ces années-là. 

De quel sujet parlions-nous? De mon mémoire d’histoire byzantine que je terminais, des œuvres de philosophie qu’il consultait, ou de politique et de la marche du monde, comme nous prenons encore souvent plaisir à le faire. Peut-être même d’une fille que nous avions remarquée… Elle vint nous aborder avec le sourire, sourire qui constituait ,pour moi il y a peu encore, un petit bonheur tout simple, mais ô combien précieux. Évidemment, elle souhaitait une cigarette. Je lui en offris une, et tous les trois, nous continuâmes la discussion engagée. Durant le reste de la journée, nous nous revîmes à plusieurs occasions pour la même occupation. Je ne doutais pas un seul instant que ce hasard fortuit serait le début de quinze années de vie commune, même d’une seule année! 

De fugitives conversations, deux cousins, une jeune fille qui fument, 26, 23 et 19 ans, que la vie paraissait facile à présent. Or, cette époque-là n’était pourtant pas la plus facile de ma vie, bien qu’elle paraisse maintenant douce comme le miel. Étrange contraste de la mémoire que d’idéaliser les moments précurseurs du bonheur, alors qu’il n’existait pas au moment-même. 

Ce fut donc la première fois que je la vis. Et si je me souviens de cette journée avec autant d’acuité, ce n’est pas juste parce que comme un fou je l’ai ensuite aimée, c’est aussi parce que l’après-midi passé, quand chacun se rendait vers la soirée qui l’attendait, la rencontre n’était en fait pas encore terminée.

(A suivre…)

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