Incipit Père Goriot, commentaire, Balzac, 1834.

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Le Père Goriot, chapitre 1, extrait « L’odeur de pension », 1834, Balzac.

Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu’il faudrait appeler l’odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance ; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements ; elle a le goût d’une salle où l’on a dîné ; elle pue le service, l’office, l’hospice. Peut-être pourrait-elle se décrire si l’on inventait un procédé pour évaluer les quantités élémentaires et nauséabondes qu’y jettent les atmosphères catarrhales et sui generisde chaque pensionnaire, jeune ou vieux. Eh bien, malgré ces plates horreurs, si vous le compariez à la salle à manger, qui lui est contiguë, vous trouveriez ce salon élégant et parfumé comme doit l’être un boudoir. Cette salle, entièrement boisée, fut jadis peinte en une couleur indistincte aujourd’hui, qui forme un fond sur lequel la crasse a imprimé ses couches de manière à y dessiner des figures bizarres. Elle est plaquée de buffets gluants sur lesquels sont des carafes échancrées, ternies, des ronds de moiré métallique, des piles d’assiettes en porcelaine épaisse, à bords bleus, fabriquées à Tournai. Dans un angle est placée une boîte à cases numérotées qui sert à garder les serviettes, ou tachées ou vineuses, de chaque pensionnaire. Il s’y rencontre de ces meubles indestructibles proscrits partout, mais placés là comme le sont les débris de la civilisation aux Incurables. Vous y verriez un baromètre à capucin qui sort quand il pleut, des gravures exécrables qui ôtent l’appétit, toutes encadrées en bois noir verni à filets dorés ; un cartelen écaille incrustée de cuivre ; un poêle vert, des quinquets d’Argand où la poussière se combine avec l’huile, une longue table couverte en toile cirée assez grasse pour qu’un facétieux externe y écrive son nom en se servant de son doigt comme de style, des chaises estropiées, de petits paillassons piteux en sparterie qui se déroule toujours sans se perdre jamais, puis des chaufferettes misérables à trous cassés, à charnières défaites, dont le bois se carbonise. Pour expliquer combien ce mobilier est vieux, crevassé, pourri, tremblant, rongé, manchot, borgne, expirant, il faudrait en faire une description qui retarderait trop l’intérêt de cette histoire, et que les gens pressés ne pardonneraient pas. Le carreau rouge est plein de vallées produites par le frottement ou par les mises en couleur. Enfin là règne la misère sans poésie ; une misère économe, concentrée, râpée. Si elle n’a pas de fange encore, elle a des taches ; si elle n’a ni trous ni haillons, elle va tomber en pourriture.

Le Père Goriot, Balzac, 1834.

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion rédigées de l’Incipit du Père Goriot, du passage de « l’odeur de la pension », Balzac, 1834.

(Ceci n’est pas un modèle, mais simplement un exemple. Votre réflexion personnelle peut évidemment mener à d’autres pistes de lecture)

Balzac, peintre réaliste de son temps de la Restauration, à travers son immense œuvre « La comédie humaine », imaginait « faire concurrence à l’état-civil » de son époque. Il décrit avec minutie les différents milieux sociaux, la province, ou comme ici dans le Père Goriot, Paris, la grande ville, à travers un personnage balzacien récurrent, Rastignac. (accroche)

Après avoir connu le succès avec Eugénie Grandet en 1833, Balzac écrit l’année suivante le Père Goriot. Il situe son nouveau roman à Paris, après avoir décrit l’univers provincial. Son personnage principal, Eugène de Rastignac, est un jeune noble désargenté qui vient faire ses études de droit à Paris, en pensant aussi y gravir l’échelle sociale. Le début du roman nous décrit la pension dans laquelle il va loger. (présentation du passage)

Comment Balzac arrive-t-il à immerger le lecteur dans l’histoire ? (problématique)

Tout d’abord, nous analyserons le réalisme du passage, puis nous expliquerons le caractère immersif de cet incipit. (annonce de plan)

(introduction en quatre étapes avec l’accroche, la présentation de l’extrait, la problématique, et l’annonce de plan).

I- Un texte réaliste.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) La précision des descriptions.

    • De nombreuses accumulations détaillent la description de l’auteur : « le service, l’office, l’hospice » insistance avec l’assonance en « ice », « des carafes échancrées, ternies, des ronds de moiré métallique, des piles d’assiettes »…
    • Des précisions accompagnent les descriptions, Balzac s’attarde sur les détails : « fabriquée à Tournai », « un baromètre à capucin » « des quinquets d’Argand », la localisation des choses est précise aussi : « Dans un angle »
    • une description complète avec la pièce et les meubles :les murs de la salle à manger, chaque meuble ont le droit à une description.
    • Comparaisons et métaphores complètent l’impression donnée : « plates horreurs », « comme le sont des débris de la civilisation des Incurables », personnification du mobilier « manchot, borgne, invalide ».

b) La convocation des sens

    • l’auteur emploie une synesthésie afin de décrire le plus précisément possible la pension.
    • L’odorat est central dans le passage : « exhale une odeur », « nez », « elle pue ». C’est par l’odorat qu’il débute l’immersion du lecteur dans la pension.
    • la vue n’est pas en reste, elle se manifeste notamment par des couleurs : « une couleur indistincte », « carreau rouge », par l’emploi du verbe voir « vous y verriez ».
    • le goût est encore convoqué « elle a le goût d’une salle où l’on a dîné », « l’appétit ». Ceci paraît normal dans la description d’une salle à manger, lieu des repas.
    • le toucher sert à détailler la description du mobilier : « buffets gluants », « y écrive son nom en se servant de son doigt ».
    • Les sensations évoquées sont toutes désagréables.

c) Une description sociale.

    • la saleté s’impose partout, elle est sur les meubles « toile cirée assez grasse », sur les murs « la crasse a imprimé ses couches », même les serviettes de table sont sales « tachées ou vineuses ».
    • un cadre vétuste, figé dans le temps : « jadis », « vieux ».Aucun meuble, ni aménagement ne paraît neuf. Les objets ne sont pas remplacés, mais gardés même quand ils sont cassés : « chaise estropiées », « à trous cassés ». L’argent manque.
    • Champ lexical de la misère : « l’hospice », « débris », « misérables », « borgne, invalide ». Impression d’une pension à l’agonie.
    • La fin du passage se conclut sur la misère : répétition du terme « misère sans poésie, une misère économe ». Reprise de descriptions pour caractérisé cette misère : « des taches », « pourriture ».

(phrase de conclusion/transition lors de la rédaction)

II- Un incipit immersif.

(phrase d’introduction de la partie lors de la rédaction)

a) Une atmosphère

    • emploi du présent qui actualise la description et rend l’intérieur proche du lecteur : « exhale », « sent », « rencontre »..
    • une description cinématographique, avec un mouvement dans la pension, et dans les pièces : « Cette première pièce », « la salle à manger », regard qui passe des murs aux meubles.
    • impression de désordre: inventaire à la Prévert, hasard du placement des objets : « Il s’y rencontre », formule impersonnelle qui marque le hasard du placement des meubles.
    • La vue alliée aux autres sens, ainsi que le choix d’une description par étape avec un point de vue interne crée une atmosphère étouffante.

b) Balzac, un guide.

    • point de vue du narrateur durant tout le passage.
    • c’est en partie une description autobiographique à laquelle nous avons affaire, en effet, Balzac se rappelle ici ses années de pensions quand il arrivait à Paris.
    • Nous avons l’impression d’une visite organisée : « Cette première pièce »(l.1), « salle à manger », « salon ».
    • L’auteur se met lui-même en position de guide : « Pour expliquer ».

c) Une mise en abîme du roman.

    • Adresse au lecteur : « si vous le compariez », « vous y verriez ».
    • Le lecteur avance dans la description avec Balzac, mais aussi dans son écriture. On le voit travailler avec nous « Eh bien ! », comme si nous étions à ses côtés entendant ses remarques et ses pensées.
    • Il évoque la technique d’écriture du roman, ses choix : « Il faudrait en faire une description qui retarderait trop l’intérêt de l’histoire », ainsi que l’attente de ses lecteurs « que les gens pressés ne pardonneraient pas ».
    • Le roman se raconte donc lui-même au début à travers son artisan, Balzac.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

Conclusion :

Le réalisme de ce texte est marqué par des accumulations, des précisions, des détails sur la description des pièces et des meubles. Afin de rendre compte de manière encore plus proche du lecteur l’atmosphère de la pension, Balzac utilise les sensations. Il fait un tableau sensoriel de la pension. Ce réalisme se trouve encore renforcé par la présence de l’auteur dans le texte. Il s’adresse au lecteur, il le fait participer à l’écriture, il lui explique comment il travaille. Cet extrait ressemble donc par certains points à une mise en abîme, le romancier raconte son écrit. (reprise des conclusions partielles)

Ainsi, Balzac débute son roman par une immersion totale du lecteur dans le cadre de son histoire. Par les sens, les descriptions précises, la main tendue de l’auteur vers le lecteur, il guide le lecteur, et l’introduit dans son récit. (réponse à la problématique)

La technique descriptive de Balzac, en mouvement, cinématographique, est traditionnelle pour lui. L’incipit d’Eugénie Grandet débute à l’extérieur de la maison et se rapproche, pour enfin franchir la porte. (ouverture)
(conclusion en trois parties avec la reprise des conclusions des parties, la réponse à la problématique, et l’ouverture).

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2 commentaires sur “Incipit Père Goriot, commentaire, Balzac, 1834.”

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