Analyse linéaire, commentaire linéaire, Le Père Goriot, passage Partie 1: Une pension bourgeoise, de « Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud » à « mais il retint assez heureusement son chapeau pour l’empêcher de tomber dans le bain. », Balzac, 1834

lescoursjulien.com            Contact: lescoursjulien@yahoo.fr

Analyse linéaire, commentaire linéaire, Le Père Goriot, passage Partie 1: Une pension bourgeoise, de « Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud » à « mais il retint assez heureusement son chapeau pour l’empêcher de tomber dans le bain. », Balzac, 1834   
(Analyse après le texte)

Partie I:Une pension bourgeoise.

[…]
Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud. Avec la rage froide d’un homme sûr de triompher un jour, il reçut le coup d’œil méprisant des gens qui l’avaient vu traversant la cour à pied, sans avoir entendu le bruit d’une voiture à la porte. Ce coup d’œil lui fut d’autant plus sensible qu’il avait déjà compris son infériorité en entrant dans cette cour, où piaffait un beau cheval richement attelé à l’un de ces cabriolets pimpants qui affichent le luxe d’une existence dissipatrice, et sous-entendent l’habitude de toutes les félicités parisiennes. Il se mit, à lui tout seul, de mauvaise humeur. Les tiroirs ouverts dans son cerveau et qu’il comptait trouver pleins d’esprit se fermèrent, il devint stupide. En attendant la réponse de la comtesse, à laquelle un valet de chambre allait dire les noms du visiteur, Eugène se posa sur un seul pied devant une croisée de l’antichambre, s’appuya le coude sur une espagnolette, et regarda machinalement dans la cour. Il trouvait le temps long, il s’en serait allé s’il n’avait pas été doué de cette ténacité méridionale qui enfante des prodiges quand elle va en ligne droite. – Monsieur, dit le valet de chambre, Madame est dans son boudoir et fort occupée, elle ne m’a pas répondu, mais, si monsieur veut passer au salon, il y a déjà quelqu’un. Tout en admirant l’épouvantable pouvoir de ces gens qui, d’un seul mot, accusent ou jugent leurs maîtres, Rastignac ouvrit délibérément la porte par laquelle était sorti le valet de chambre, afin sans doute de faire croire à ces insolents valets qu’il connaissait les êtres de la maison ; mais il déboucha fort étourdiment dans une pièce où se trouvaient des lampes, des buffets, un appareil à chauffer des serviettes pour le bain, et qui menait à la fois dans un corridor obscur et dans un escalier dérobé. Les rires étouffés qu’il entendit dans l’antichambre mirent le comble à sa confusion. – Monsieur, le salon est par ici, lui dit le valet de chambre avec ce faux respect qui semble être une raillerie de plus. Eugène revint sur ses pas avec une telle précipitation qu’il se heurta contre une baignoire, mais il retint assez heureusement son chapeau pour l’empêcher de tomber dans le bain.

Balzac, Le Père Goriot, 1834.

Analyse linéaire, commentaire linéaire, Le Père Goriot, passage Partie 1: Une pension bourgeoise, de « Enfin il arriva rue du Helder et demanda la comtesse de Restaud » à « mais il retint assez heureusement son chapeau pour l’empêcher de tomber dans le bain. », Balzac, 1834. 
(Ceci n’est pas un modèle, mais simplement un exemple. Votre réflexion personnelle peut évidemment mener à d’autres pistes de lecture)

Introduction:

Balzac, peintre réaliste de son temps de la Restauration, à travers son immense œuvre « La comédie humaine », imaginait « faire concurrence à l’état-civil » de son époque. Il décrit avec minutie les différents milieux sociaux, la province, ou comme ici dans le Père Goriot, Paris, la grande ville, à travers un personnage balzacien récurrent, Rastignac. (accroche)
Après avoir connu le succès avec Eugénie Grandet en 1833, Balzac écrit l’année suivante le Père Goriot. Il situe son nouveau roman à Paris, après avoir décrit l’univers provincial. Son personnage principal, Eugène de Rastignac, est un jeune noble désargenté qui vient faire ses études de droit à Paris, en pensant aussi y gravir l’échelle sociale. Le passage étudié se situe dans la première partie de l’œuvre. Rastignac effectue son entrée dans le monde en allant faire une visite à la comtesse de Restaud avec qui il a brièvement dansé. (présentation du passage)
Comment Balzac montre-t-il la colère sociale qui habite Eugène dans ce passage ? (problématique)
Le premier mouvement du texte nous présente l’arrivée d’Eugène dans la riche demeure (« Enfin, il arriva rue du Helder » à « il devint stupide. »). Le deuxième mouvement décrit l’attente d’Eugène (« En attendant la réponse de la comtesse » à « il y a déjà quelqu’un »). Enfin, le dernier mouvement jusqu’à la fin du texte plonge Eugène dans une situation ridicule. (Annonce des mouvements)

Premier mouvement: Eugène face à la richesse. (« Enfin, il arriva rue du Helder » à « il devint stupide. »)

  • L’adverbe de temps « Enfin » marque l’impatience de Rastignac. La conjonction de coordination « et » qui met sur le même plan l’adresse et la comtesse montre bien que pour lui la demeure est celle de Madame de Restaud, est attachée à sa personne, et à rien d’autre. 
  • La deuxième phrase débute par un oxymore « la rage froide » qui dépeint à la fois la colère sociale qui habite Rastignac, et son intelligence calculatrice. Il essaie de ne pas se laisser déborder par ses émotions. C’est cet élan contrôlé qui lui donne confiance en lui, en son avenir « sûr de triompher un jour ». 
  • Sa vision de lui-même s’oppose à celle de l’entourage présent : « le coup d’oeil méprisant des gens ». La haute société juge immédiatement si vous lui appartenez au niveau matériel. Et c’est ici l’absence de la voiture qui rappelle Rastignac à sa modeste condition. La fine observation de Balzac se mêle avec un jugement péjoratif sur ces personnes attachés au paraître plus qu’à l’être.
  • Blessé « d’autant plus sensible », Balzac avec le point de vue interne nous montre la violence sociale subie par Rastignac, attaquée par le luxe d’un attelage dans la cour. Avec une précision réaliste, l’auteur insiste sur la richesse qui s’étale et la facilité de la vie du propriétaire avec plusieurs expansions du nom: « beau », « richement attelé », « pimpants », « d’une existence dissipatrice », « de toutes les félicités parisiennes ». Une fois encore la vision réaliste de Balzac se teinte d’un jugement à travers l’adjectif « dissipatrice ». 
  • Cette inégalité de fortune agit sur son esprit: « de mauvaise humeur ». La jalousie sociale de Rastignac est le moteur de ses émotions. 
  • La métaphore « Les tiroirs ouverts dans son cerveau » montre que l’état d’esprit, l’humeur a un effet sur l’intelligence, la capacité de réaction: « il devint stupide ». Balzac avec son analyse réaliste nous montre ici que l’être humain est un être d’émotions, et non une machine. 
  • À noter enfin que le choix du point de vue interne s’explique par la volonté de nous faire comprendre et ressentir l’état de Rastignac, d’être au plus proche de son évolution durant la scène.

Deuxième mouvement: L’Attente.(« En attendant la réponse de la comtesse » à « il y a déjà quelqu’un »)

  • Effet d’attente : « En attendant la réponse de la comtesse », le personnage, mais surtout le lecteur attend la réponse.
  • Rang de la comtesse posé: « à laquelle un valet de chambre allait dire les noms du visiteur ». Le valet sert de filtre. Nous sommes dans une grande demeure avec des domestiques. 
  • La phrase suivante décrit avec précision la posture d’Eugène, les détails participent au réalisme : « Eugène se posa sur un seul pied devant une croisée de l’antichambre, s’appuya le coude sur une espagnolette, et regarda machinalement dans la cour ». (La croisée est une fenêtre, l’espagnolette la poignée). Posture de quelqu’un de blasé, qui se veut important, qui n’a ni le temps, ni l’habitude d’attendre. 
  • Eugène vient pour la première fois dans une telle demeure, et souhaite ardemment voir la comtesse, mais il feint d’être habitué à ce type de rendez-vous mondain.
  • « Il trouvait le temps long » marqué son impatience, son caractère plutôt fonceur. La longueur de l’attente expose une nouvelle fois sa position sociale: on ne fait pas attendre une personne d’importance.
  • Rappel des origines de Rastignac: « ténacité méridionale », originaire du sud de la France. La fin de la phrase avec son présent de vérité générale sonne comme un proverbe: « qui enfante des prodiges quand elle va en ligne droite. ». Balzac signifie que le fait d’être têtu mène à des résultats quand on ne démord pas de son objectif. Cette phrase attribue une qualité potentielle à Eugène.
  • Première incursion du discours direct avec la parole du valet: « Madame est dans son boudoir, et fort occupée, elle ne m’a pas répondu… ». On sent l’ironie du valet dans l’expression « fort occupée ». Le boudoir était un petit salon intime pour les femmes. Le sous-entendu est que la comtesse serait en charmante compagnie. 
  • «  si monsieur veut passer au salon, il y a déjà quelqu’un. ». Eugène est un numéro parmi d’autres. La comtesse reçoit énormément et se fait attendre. 
  • L’attente d’Eugène, l’obstacle du valet, la liste de rendez-vous de la comtesse montrent qu’il doit faire preuve de patience et de ténacité pour arriver à ses fins. La tâche est plus difficile que ce qu’il semblait envisager.

Troisième mouvement: Eugène dans l’embarras.(« Tout en admirant l’épouvantable pouvoir de ces gens » à la fin)

  • Suite à la réponse du valet, Eugène se laisse aller à une réflexion sur la position des serviteurs, des dommages tiques, intimes de leurs maîtres sans être leurs égaux : « Tout en admirant l’épouvantable pouvoir de ces gens qui, d’un seul mot, accusent ou jugent leurs maîtres ». 
  • L’oxymore « admirant l’épouvantable » expose le paradoxe de la position du valet, véritable maître de la maison, mais ne possédant rien et au service du maître. Il est finalement l’observateur de la vertu, le juge. La pensée de Rastignac est évidemment celle de Balzac.
  • Cette digression le distrait et dans son envie de l’impressionner, de montrer qu’il est un familier, il va avec énergie dans une pièce sans y être invité : « qu’il connaissait les êtres de la maison ». Cette soif de reconnaissance le pousse finalement à la faute….
  • « mais il déboucha fort étourdiment dans une pièce où se trouvaient des lampes, des buffets, un appareil à chauffer des serviettes pour le bain », la conjonction de coordination « mais » marque bien l’antithèse par rapport à la volonté de son apparence. L’énumération d’objets possède une tonalité comique par un caractère hétéroclite. Il débouche dans un débarras, loin de ses aspirations.
  • La perspective est encore pire « un corridor obscur et dans un escalier dérobé ». Elle met Rastignac du côté des domestiques, des chambres de bonnes et non des invités de marque. Eugène est encore renvoyé à sa basse condition sociale.
  • La barrière entre Rastignac et les habitués du lieu s’entend: « Les rires étouffés qu’il entendit dans l’antichambre mirent le comble à sa confusion ». Sa confiance d’origine est perdue. 
  • La dernière réplique du valet rappelle que ce n’est pas la comtesse son interlocuteur, mais son domestique. On perçoit l’ironie dans ses propos: « Monsieur, le salon est par ici, lui dit le valet de chambre avec ce faux respect qui semble être une raillerie de plus. ». Eugène paraît traqué dans un monde qui n’est pas le sien. Les autres ne le reconnaissent pas comme faisant partie du groupe.
  • La dernière phrase du passage montre une dernière fois son embarras et sa perte de contenance: « Eugène revint sur ses pas avec une telle précipitation qu’il se heurta contre une baignoire ». Seulement « mais il retint assez heureusement son chapeau pour l’empêcher de tomber dans le bain ». Son dernier réflexe indique tout de même un espoir, et une réactivité du jeune homme.
  • La description de l’attitude du valet, des embarras de Rastignac est faite avec beaucoup de détails, de réalisme, comme si on en était témoin.Conclusion:

Ce passage est centré autour de la personne de Rastignac. Il progresse en trois temps. L’étudiant arrive tout d’abord dans la somptueuse demeure de la comtesse et est énervé par l’étalage de richesse. Ensuite, il doit attendre, filtré par un valet. Son agacement monte et ses pensées vagabondent. Enfin, il perd sa confiance et son apparence en se trompant de porte. L’extrait termine sur une note comique.(Reprise des conclusions des mouvements)
Eugène est rattrapé dans tout ce texte par son manque d’argent. Il ressent avec colère son infériorité financière et sociale en pénétrant dans la haute société parisienne. Et sa maladresse finale achève de montrer qu’il n’est qu’au début de l’ascension sociale qu’il recherche. (Réponse à la problématique).
La description de l’atmosphère de la demeure de la comtesse s’oppose à l’incipit qui présente la pension dans laquelle loge Rastignac, qui navigue entre différents horizons. (Ouverture)

À lire aussi, analyse, commentaire incipit du Père Goriot: Incipit Père Goriot, commentaire, Balzac, 1834.

lescoursjulien.com

Page Facebook: CoursJulien

Twitter:@lescoursjulien

Contact: lescoursjulien@yahoo.fr

Laisser un commentaire

I accept that my given data and my IP address is sent to a server in the USA only for the purpose of spam prevention through the Akismet program.More information on Akismet and GDPR.