Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, Remarque 74, Les Caractères, La Bruyère, 1688.

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Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, Remarque 74, Les Caractères, La Bruyère, 1688.

(Analyse après le texte)

L’on parle d’une région où les vieillards sont galants, polis et civils; les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse: ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l’on commence ailleurs à la sentir; ils leur préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s’enivre que de vin: l’usage trop fréquent qu’ils en ont fait le leur a rendu insipide; ils cherchent à réveiller leur goût déjà éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes; il ne manque à leur débauche que de boire de l’eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles : leur coutume est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils et leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête: il descend à la moitié du corps, change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage. Ces peuples d’ailleurs ont leur Dieu et leur roi: les grands de la nation s’assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu’ils nomment église; il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur Dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables; les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paraissent debout, le dos tourné directement au prêtre et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination; car ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les gens du pays le nomment***; il est à quelque quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.

Analyse, étude, commentaire linéaire, Remarque 74, De la cour, Les Caractères, La Bruyère, 1688. 
(Ceci n’est pas un modèle, mais un exemple. Vos réflexions personnelles peuvent mener à d’autres pistes de lecture)

Introduction:

Le mouvement du classicisme à l’époque de Louis XIV possède un fort aspect moral. Les Fables de La Fontaine, les Maximes de La Rochefoucauld illustrent cet aspect. Les Caractères de La Bruyère font partie de cette catégorie de textes argumentatifs et instructifs. (accroche)
    Après dix-sept années de travail, La Bruyère publie Les Caractères en 1688. L’oeuvre se compose de maximes et surtout de plusieurs séries de portraits satiriques, de caricatures qui visent à dénoncer souvent grâce à une argumentation indirecte certains comportements de son époque, et plus généralement des travers humains universels. Ici, la remarque 74 se situe dans la section intitulée « De la cour ». En se mettant à la place d’un Indien d’Amérique, le caricaturiste présente la cour du XVII ème siècle comme un pays étrange et lointain.(Présentation générale du texte et de l’oeuvre)
Comment à travers ce texte La Bruyère fait-il une satire de la cour et des mœurs européennes ?(Problématique)
     Le texte peut se décomposer en trois mouvements. Tout d’abord, la première partie du texte du début jusqu’à « l’eau forte » dévoile un pays étrange. Le second mouvement, de «Les femmes du pays » jusqu’à « les hommes à leur visage » ridiculise les modes en vogue à la cour. Enfin, le troisième mouvement à partir de « Ces peuples d’ailleurs » jusqu’à la fin du texte décrit le comportement des nobles face aux pouvoirs religieux et royal.(Annonce des mouvements). 

Premier mouvement: Un pays étrange. (De « L’on parle d’une région » à « l’eau forte »)

  • Dès les premiers mots, La Bruyère situe sa description dans un endroit inconnu : « L’on parle d’une région »: la formule impersonnelle « L’on parle » est renforcée par l’emploi de l’article indéfini « une ». 
  • On ne sait quelle est la région, ni même si elle existe vraiment. L’impression donnée est celle d’une rumeur. 
  • La suite de la longue phrase s’articule autour d’un parallélisme antithétique entre les « vieillards » et « les jeunes gens ». 
  • Tout d’abord, la description des personnes âgées se fait à travers une énumération laudative, une énumération de qualités: « les vieillards sont galants, polis et civils ». 
  • Les jeunes gens par contre subissent un blâme avec une énumération de défauts, de traits moraux péjoratifs: « les jeunes gens au contraire, durs, féroces, sans mœurs ni politesse. » Ils sont le miroir strictement opposé des vieillards. 
  • La Bruyère insiste bien sur l’opposition avec la locution « au contraire ». De plus, l’emploi du présent de vérité générale ne supporte pas vraiment de contradiction. La Bruyère ne semble pas délivrer une opinion, mais un fait. 
  • Ce constat ne paraît pas en soi original ou remarquable: on accuse souvent la jeunesse de tous les maux, et les personnes plus âgées ont eu le temps de mieux s’éduquer. 
  • La seconde moitié de la phrase introduite par les deux points « : » va donner une explication à la remarque générale avancée. Tout le texte procède de la même manière : avancer un constat, puis l’argumenter avec des exemples concrets. La Bruyère cherche à convaincre. Nous n’avons d’ailleurs pas de ponctuation expressive. 
  • La dureté des jeunes hommes ainsi que leur manque de civilité s’explique par leur absence de sentiments amoureux: « affranchis de la passion des femmes », « amours ridicules ». Ils n’ont pas d’élan du coeur, pas de romantisme. Leur préférence va à des « repas, de viandes ». 
  • La Bruyère nous décrit une jeunesse barbare, loin du modèle à son époque du gentilhomme ou de l’ancien modèle de l’amour courtois. La fin de cette première phrase annonce la seconde en introduisant la notion de débauche, d’orgie de nourriture. 
  • Effectivement la phrase suivante reprend la notion d’absence de passion sentimentale : « sobre et modéré ». Cette dernière ,n’obsédant plus les jeunes hommes, se trouve remplacée par l’enivrement, l’ivrognerie.
  • Elle est particulièrement frappante dans la gradation qui suit: « vin », « eaux-de-vie », « liqueurs les plus violentes », « eau forte ». La force de l’alcool ne cesse d’augmenter au fur et à mesure des liquides cités. 
  • L’emploi du terme de « débauche », qui est l’usage excessif du plaisir des sens, ici surtout celui de l’alcool, finit de blâmer le comportement de cette jeunesse qui a perdu l’attrait et l’innocence de l’amour pour se vautrer dans la luxure: vin et libertinage (« amours ridicules »)

Deuxième mouvement: Un lieu d’apparences ridicules. ( de « Les femmes du pays » à « les hommes à leur visage »)

  • La troisième phrase du texte débute le deuxième mouvement. Après avoir brièvement décrit de vénérables vieillards et de jeunes débauchés, La Bruyère s’intéresse aux femmes: « Les femmes du pays ». À noter une nouvelle fois que le pays n’est pas précisé. 
  • Comme pour les jeunes hommes, La Bruyère débute un blâme des femmes, centré ici sur le paraître: « précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu’elles croient servir à les rendre belles ». Le terme « artifices » se réfère aux apparences. L’inutilité, pire l’effet néfaste de leur démarche est une manifestation de leur manque d’intelligence. 
  • Comme auparavant, les deux points « : » introduisent l’explication concrète du constat établi. 
  • Celle-ci commence par le mot « coutume » qui renvoie à un pays exotique, aux mœurs de peuples indigènes. La Bruyère affiche alors encore plus sa volonté de se placer dans une contrée exotique, étrangère. 
  • « de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils » offre une description précise du maquillage à la mode à l’époque. Surtout, il se permet avec ironie de critiquer le regard condescendant des Européens sur les Indiens d’Amérique et leurs visages ornés de peintures tribales, alors qu’ils font la même chose. Un visage peinturluré n’est donc pas un signe de sauvagerie…
  • Ensuite dans un deuxième temps, nous trouvons un jugement plus moral, plus lié à la vertu de l’époque sur la tenue des femmes: « leurs épaules, qu’elles étalent avec leur gorge, leurs bras et leurs oreilles, comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire, ou de ne pas se montrer assez ». 
  • Cette description est à la fois un jugement sexiste de son époque et une dénonciation du libertinage. La Bruyère semble choqué d’une mode où la femme expose des parties de son corps, jugement évidemment dépassé aujourd’hui. Cependant, il expose une dénonciation du libertinage en vogue à la cour en insistant sur la volonté de plaire. 
  • Si la débauche des hommes se matérialise avant tout par les excès de boisson, celle des femmes se voit dans leur parure. 
  • La quatrième phrase se concentre ensuite sur la mode masculine. Comme depuis le début du texte, il débute par un constat au présent de vérité générale: « Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n’est pas nette ». L’adjectif « nette » possède un double sens. Il qualifie à la fois au sens propre une vision floue, mais aussi au sens figuré un caractère louche.
  • Il poursuit par une description précise, offrant un exemple concret à son constat : « épaisseur de cheveux étrangers, qu’ils préfèrent aux naturels ». Il déplore la mode de la perruque poudrée pour les hommes, dont nous avons tous en tête des images à l’époque de Louis XIV. En l’opposant au naturel, il en dénonce aussi la superficialité. 
  • Cette superficialité confine ensuite au ridicule: « un long tissu pour couvrir leur tête: il descend à la moitié du corps ». 
  • Enfin, La Bruyère termine là description de l’accoutrement des hommes de la cour en faisant référence au theatrum mundi, au fait que nous jouons tous un rôle, que nous arborons tous un masque en société : « change les traits, et empêche qu’on ne connaisse les hommes à leur visage ». 
  • Le maquillage des femmes et les perruques des hommes les déguisent, les transforment finalement en comédiens du théâtre de la cour. 

Troisième mouvement: Une cour subordonnée aux pouvoirs. (de « Ces peuples d’ailleurs » jusqu’à la fin)

  • De nouveau au début de ce troisième mouvement La Bruyère rappelle le caractère étranger d’au pays: « Ces peuples d’ailleurs ».
  • Le sujet de cette dernière étape concerne le rapport entre les gens de la cour et les institutions religieuses et temporelles. Il se place encore avec recul, en adoptant le regard d’un étranger: « ont leur Dieu et leur roi ». On perçoit l’ironie par rapport à la vision européenne sur les peuples du Nouveau Monde. 
  • Il commence par la religion. La périphrase « les grands de la nation » pour désigner les nobles est elle aussi ironique, puisqu’il évoque les personnes dont il vient de montrer le ridicule. Leur comportement paraît automatique, sans jugement, sans âme: « tous les jours, à la même heure ». On est face à un troupeau qui, comme pour la mode, suit une tendance sans réfléchir: « s’assemblent ». 
  • Le recul de La Bruyère se lit encore quand il écrit « dans un temple qu’il nomme église » comme si son environnement quotidien pouvait sembler très étrange. 
  • La suite est une remise en cause de la vérité des cérémonies catholiques: « où un prêtre célèbre des mystères qu’ils appellent saints, sacrés et redoutables ». En effet, le terme « mystères » fait référence à des pratiques païennes, durant l’Antiquité notamment. L’énumération « saints, sacrés et redoutables » précédée de « qu’ils appellent » donne un parfum de superstition à la pratique religieuse. 
  • La deuxième partie de la phrase se concentre sur le rapport au roi. Les nobles agissent encore en troupeau comme un groupe sans identité « un vaste cercle au pied de cet autel ».
  • Après s’être concentrés sur le prêtre et sa cérémonie, ils se tournent et fixent leur attention sur leur souverain : « les faces élevées vers leur roi, que l’on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout l’esprit et tout le cœur appliqués ». Le verbe « semblent » dévoile la pensée de La Bruyère une nouvelle fois sur le caractère des courtisans dont on ne peut connaître les véritables intentions. Une nouvelle fois, la cérémonie religieuse est un spectacle.
  • Le roi tient une position centrale. La chaîne logique énoncée dans la phrase suivante « ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu » rappelle le rôle d’intermédiaire du roi entre ses sujets et Dieu, il est le Lieutenant de Dieu sur terre, l’oint du Seigneur. 
  • Cette position lui procure sa supériorité énoncée par La Bruyère : « On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination ». Ici, le caricaturiste se fait le peintre de la monarchie absolue du temps de Louis XIV qui s’appuie sur l’Eglise et qui possède un pouvoir incontestable et incontesté sur la noblesse. 
  • Le texte termine par un dernier rappel de l’incertitude de la région évoquée: « Les gens du pays le nomment*** ». Aucune date, nom de lieu, ni de roi, ni de Dieu ne permet de situer le pays. La Bruyère emploie ce procédé pour à la fois rendre sa critique efficace et ironique, mais aussi pour se jouer de la censure. 
  • Enfin, les coordonnées géographiques « quarante-huit degrés d’élévation du pôle, et à plus d’onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons. » situent avec malice la France effectivement localisée à la quarante-huitième latitude Nord et au-delà de l’Atlantique par rapport au Canada (territoire des Iroquois et Hurons).
  • La Bruyère semble donc se placer du point de vue des Iroquois et de Hurons, des Indiens d’Amérique qui ne peuvent que trouver étranges les mœurs de la cour française au XVII ème siècle.

Conclusion:

Dans la remarque 74, La Bruyère commence par nous décrire de jeunes nobles débauchés, libertins et ivres. Puis, il ridiculise la mode féminine d’un maquillage très chargé et de tenues vestimentaires trop dénudées à son goût, ainsi que la mode masculine de la perruque. Enfin, il dessine la noblesse comme un troupeau d’automates sans conscience face à l’Eglise ou face au roi. (Reprise des conclusions des mouvements).
La Bruyère dresse un portrait sans concession de la cour à son époque. Afin d’avoir la liberté de pouvoir employer son ironie, il place la cour dans un pays étranger, indéterminé, inconnu. Il adopte un point de vue extérieur, le point de vue d’un Indien d’Amérique. Ainsi, en plus de tourner la cour en ridicule, il opère un renversement de point de vue entre les Indiens et les Européens. Il nous interroge sur ce qui peut paraître étrange ou non, normal ou non. Il remet en cause l’ethnocentrisme des Européens. (Réponse à la problématique)
Le procédé de La Bruyère inspira certainement Voltaire au siècle suivant pour son conte philosophique L’ingénu (1767) dans lequel le philosophe des Lumières met en scène un Huron venu en France, qui s’étonne du fonctionnement du gouvernement et de l’administration. (ouverture)

Liens vers d’autres Analyses des Caractères de La Bruyère, Acis et Arrias:

Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire « Acis », « De la société et de la conversation », de « Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas » à « peut-être alors croira-t-on que vous en avez. », Les Caractères, La Bruyère, 1688.

Analyse linéaire, étude linéaire « Arrias », Les Caractères, La Bruyère, 1688.

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