Les obsèques de la Lionne, La Fontaine, commentaire, analyse.

NVIII, 14 – Les Obsèques de la Lionne

La femme du Lion mourut :
Aussitôt chacun accourut
Pour s’acquitter envers le Prince
De certains compliments de consolation,
Qui sont surcroît d’affliction.
Il fit avertir sa Province
Que les obsèques se feraient
Un tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts y seraient
Pour régler la cérémonie,
Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s’y trouva.
Le Prince aux cris s’abandonna,
Et tout son antre en résonna.
Les Lions n’ont point d’autre temple.
On entendit à son exemple
Rugir en leurs patois Messieurs les Courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au Prince, ou s’ils ne peuvent l’être,
Tâchent au moins de le parêtre,
Peuple caméléon, peuple singe du maître,
On dirait qu’un esprit anime mille corps ;
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire
Le Cerf ne pleura point, comment eût-il pu faire ?
Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadis
Étranglé sa femme et son fils.
Bref il ne pleura point. Un flatteur l’alla dire,
Et soutint qu’il l’avait vu rire.
La colère du Roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi Lion :
Mais ce Cerf n’avait pas accoutumé de lire.
Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois
Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix.
Nous n’appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles ; venez Loups,
Vengez la Reine, immolez tous
Ce traître à ses augustes mânes.
Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié couchée entre des fleurs,
Tout près d’ici m’est apparue ;
Et je l’ai d’abord reconnue.
Ami, m’a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les Dieux, ne t’oblige à des larmes.
Aux Champs Élyséens j’ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi.
J’y prends plaisir. À peine on eut ouï la chose,
Qu’on se mit à crier : Miracle, apothéose !
Le Cerf eut un présent, bien loin d’être puni.
Amusez les Rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges,
Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,
Ils goberont l’appât, vous serez leur ami.

Les obsèques de la Lionne.

(Jean de La Fontaine, Livre VIII, second recueil, fable XIV, 1678)

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion.

(ceci est évidemment un exemple, et non un modèle. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture)

Introduction :

La Fontaine, grande figure du classicisme, remet au goût du jour le genre de la Fable au XVIIème siècle, en s’inspirant des Anciens, notamment d’Esope et de Phèdre. Dans ses fables dédicacées au Dauphin (l’héritier de Louis XIV), il utilise souvent le monde animal pour dénoncer les injustices de son temps. La forme de la fable correspond parfaitement à  l’idéal classique de brièveté, et du « plaire et instruire ». (contexte littéraire et auteur).

Les obsèques de la Lionne obéit évidemment à ces principes du classicisme, mais tire son originalité de sa longueur et de ses multiples rebondissements. La Fontaine s’inspire ici de l’humaniste italien du XVIème siècle Abstemius et de sa fable Le Lion irrité contre le Cerf joyeux lors de la mort de la Lionne. Le récit conte la cérémonie d’obsèques de la femme du Lion, de la reine, et décrit les réactions des courtisans, puis plus particulièrement celle du cerf. (présentation générale du texte)

Nous nous demanderons comment l’auteur arrive ici à dresser un portrait sans concession des puissants ?(problématique)

Tout d’abord, nous mettrons en avant la vivacité de cette fable, son rythme prononcé, avant de nous intéresser à la satire de la cour effectuée par le fabuliste. (annonce de plan)

(introduction avec accroche, présentation du texte à étudier, problématique, annonce de plan)

I- Un récit vif et plaisant.

(phrase d’introduction de la partie, rappel du thème lors de la rédaction).

a) Une écriture rythmée.

  • diversités des rimes : plates (vers 1-2), embrassées (vers 3 à 6).
  • Rythme soutenu avec des vers différents : octosyllabes (vers 1,2 ,9 ..) et alexandrins (vers 4, 8, 16..), de plus ponctuation abondante : « : », « , », « . ».
  • De nombreux enjambements ajoutant de la fluidité et du rythme : vers 2-3, vers 6-7..
  • Enfin, des énonciations multiples : narrateur, puis interpellation du lecteur (« jugez »vers 11), implication de La Fontaine (« Je » vers 17), discours direct du Roi (vers 33), du cerf (vers 39), la prosopopée avec la reine (paroles rapportées d’un personnage absent) et de nouveau apostrophe au lecteur (« Amusez »).

b) Une structure complexe.

  • une fable traditionnelle : introduction (vers 1-10), péripéties (vers 11 à 51), morale (fin)
  • une représentation théâtrale : de multiples rebondissements, et les éléments d’une pièce de théâtre classique : le décor (« antre », « cérémonie »), des acteurs (le roi, les courtisans, le cerf), les spectateurs (les lecteurs interpeller plusieurs fois par l’auteur dans la fable) et le metteur en scène qui dirige le récit (La Fontaine, « Pour revenir à notre affaire » vers 24)
  • le coup de théâtre de fin, le dénouement : retournement de situation avec le cerf condamné, puis récompensé.

c) Plaire et instruire.

  • le merveilleux de la société des animaux avec des personnifications : lion=roi.
  • Le comique de mots, ironie et satire : « compliments de consolation » (vers 4)..
  • caractère universel du récit : « Un tel jour, en tel lieu.. »(vers 8) (=n’importe où)
  • morale qui apporte un caractère didactique (qui enseigne, instruit) et « Je définis »(vers 17).
  • enfin, rappel de la réalité : « Prévôts » (vers 8), et « etranglé »(vers 27), « immolez » (vers 37) : rappel des peines de l’époque. (une lionne ou lion n’étrangle, ni n’immole).

(phrase de conclusion/transition à la fin de cette première partie lors de la rédaction).

II- La satire de la cour :

(phrase d’introduction de la partie, et rappel du thème).

a) Force et faiblesse du Roi.

  • plusieurs différentes marques de déférence, de respect : « Prince »(vers 3), « Roi »(vers 30), « Monarque »(vers 33), « Sire »(vers 39).
  • un pouvoir et une puissance marquée par la propriété : « sa Province » (vers 6), « ses Prévôts » (vers 8), « son antre » (son palais) (vers 13).
  • caractéristiques royaux : force avec sa garde « Loups » (vers 36), il ordonne « Venez » impératif (vers 36), roi d’ordre divin : « temple »(vers 14), « comme dit Salomon » (vers 30), « sacrés ongles » (vers 36).
  • Sa faiblesse est la crédulité : vers 53 « Flattez-les… », roi entouré de menteurs, et prenant de mauvaises décisions au départ.

b) Violente critique des courtisans.

  • présence d’un champ lexical péjoratif des courtisans : « patois »(langue vulgaire, vers 16), métaphore du singe « peuple singe du maître » (vers 21), « simples ressorts » (vers 23).
  • définition négative de l’auteur, présent de vérité générale ne souffrant pas de contradiction : « Sont » (vers 19), « Tâchent » (vers 20), et surtout « C’est bien là » ( vers 23) qui appuie cette vérité.
  • Attributs péjoratifs : opportunistes « prêts à tout» (vers 18), sans personnalité juste à copier le seigneur « ce qu’il paît au maître » (vers 19), « à tout indifférents » (vers 18), serviles par la rapidité des réactions : « Aussitôt » (vers 2).
  • Enfin, caractère hypocrite et menteur : « Tâchent au moins de le parêtre » (vers 20, jeu des apparences), « Et soutint qu’il l’avait vu rire » (vers 29, alors qu’il ne pleurait juste pas, il ne riait pas non plus), « mensonges » (vers 53).
  • Déshumanisation des courtisans et ironie : « un esprit anime mille corps » (vers 22, un monstre et non un être humain), « Messieurs les Courtisans » (vers 16, les majuscules marquent le mépris de l’auteur et non son respect).

c)Le triomphe du faible.

  • le Cerf : représentation du tiers-état qui supporte l’injustice des puissants : « Etranglé sa femme et son fils » (vers 27), pas d’éducation : « pas accoutumé à lire » (vers 32), « Chétif »(vers 33).
  • Seul à ne pas porter de masque, à ne pas copier le roi : « Le Cerf ne pleura point » (vers 25). Figure de l’honnêteté au milieu d’une cour corrompue, il n’est pas un suiveur : « tu ne suis pas ses gémissantes voix » (vers 34).
  • dans cette foule, ce « peuple » (vers 21), seul personnage à être réel, il s’adapte non par malice, mais par intelligence, et arrive à retourner la situation : récompense donnée pour l’humble cerf, le modeste roturier (non noble) condamné par les nobles de la cour : « Le Cerf eut un présent » (vers 51).
  • Par ce retournement de situation La Fontaine critique une société dans laquelle le Roi est influençable, la noblesse hypocrite, la religion mensongère (ironie du vers 51 « Miracle, apothéose!), et seul le petit peuple trouve grâce à ses yeux.

( phrase de conclusion de la partie, lors de la rédaction).

Conclusion :

Cette fable de La Fontaine présente des caractéristiques traditionnels comme le recours à l’univers animal, un récit composé d’une introduction, de péripéties et d’une morale explicite. Cependant, la longueur du récit, les rebondissements multiples, ou les différents points de vue donnent une originalité indéniable à ce texte. Il conserve le côté divertissant et moralisateur du classicisme, tout en ajoutant une implication personnelle importante et une violence rare dirigée contre les courtisans. (reprise des conclusions partielles et réponse à l’annonce de plan dans l’introduction).

La cour, comme lieu, et regroupement de personnes, est dépeinte à travers sa lâcheté et son hypocrisie, tel un théâtre sans vie. Seul le Cerf, représentant des plus faibles, trouve grâce auprès du fabuliste. Même le roi paraît avec des défauts, notamment celui d’être influençable. (réponse à la problématique).

La fable reprend un thème cher à La Fontaine, celui de la critique des courtisans, comme dans le corbeau et le renard. Elle frappe le lecteur par sa violence et sa réalité, qui constituaient certainement pour le Dauphin un avertissement très utile aux pièges auxquels s’exposaient un roi de l’Ancien Régime. (ouverture sur l’oeuvre et la portée historique du texte)

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