Un mot, un poème : Cauchemar, Théophile Gautier, 1830.

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Un mot, un poème :  Cauchemar, Premières poésies, Théophile Gautier, 1830.

Nous avons tous fait des cauchemars, pris de terreurs nocturnes dans lesquelles nous étions entraînées. Les cauchemars peuvent paraître très réels même quand ils voyagent dans le fantastique et l’épouvante. Les monstres, les enfers, la souffrance font autant partie de ces illusions du sommeil que les cauchemars mettant en scène la réalité et nos peurs concrètes.

Dans le poème de Gautier, il est question des enfers les plus terribles. Ce poème intitulé « Cauchemar » décrit avec justesse le malaise des émotions et des sensations. Il débute par une apparition effrayante « une main écorchée ». Puis, après les six premiers vers, qui peignent un décor infernal, le texte s’attache aux sensations fictives: l’impossibilité de bouger, les douleurs , les sons stridents, le malaise physique. Bien que tout ceci n’existe pas, comme dans un cauchemar, l’inconscient ensommeillé y croit.

Enfin, la dernière partie du poème rappelle le caractère irréel : « étrange enchantement ». Un déplacement magique s’effectue, après les créatures horribles des enfers apparaissent des personnages plus réalistes (un pendu et des sorcières), et le dormeur victime, devient un bourreau. Il s’est transformé en monstre sanguinaire. Effectivement, le cauchemar n’est pas seulement la souffrance qu’on ressent, mais parfois aussi celle qu’on inflige, un visage de soi qu’on aimerait ne jamais voir…. Les images peintes, les allitérations nombreuses en « r », le caractère fantastique et d’épouvante du poème, ainsi que l’impossibilité d’échapper au cauchemar définissent, à mon sens, de manière presque picturale « le cauchemar ». Bonne lecture 🙂

« Cauchemar », Premières poésies, Théophile Gautier, 1830.

Avec ses nerfs rompus, une main écorchée, 

Qui marche sans le corps dont elle est arrachée, 

Crispe ses doigts crochus armés d’ongles de fer 

Pour me saisir ; des feux pareils aux feux d’enfer 

Se croisent devant moi ; dans l’ombre, des yeux fauves 

Rayonnent ; des vautours, à cous rouges et chauves, 

Battent mon front de l’aile en poussant des cris sourds ; 

En vain pour me sauver je lève mes pieds lourds, 

Des flots de plomb fondu subitement les baignent, 

À des pointes d’acier ils se heurtent et saignent, 

Meurtris et disloqués ; et mon dos cependant, 

Ruisselant de sueur, frissonne au souffle ardent 

De naseaux enflammés, de gueules haletantes : 

Les voilà, les voilà ! dans mes chairs palpitantes 

Je sens des becs d’oiseaux avides se plonger, 

Fouiller profondément, jusqu’aux os me ronger, 

Et puis des dents de loups et de serpents qui mordent 

Comme une scie aiguë, et des pinces qui tordent ; 

Ensuite le sol manque à mes pas chancelants : 

Un gouffre me reçoit ; sur des rochers brûlants, 

Sur des pics anguleux que la lune reflète, 

Tremblant, je roule, roule, et j’arrive squelette. 

Dans un marais de sang ; bientôt, spectres hideux, 

Des morts au teint bleuâtre en sortent deux à deux, 

Et, se penchant vers moi, m’apprennent les mystères 

Que le trépas révèle aux pâles feudataires 

De son empire ; alors, étrange enchantement, 

Ce qui fut moi s’envole, et passe lentement 

À travers un brouillard couvrant les flèches grêles 

D’une église gothique aux moresques dentelles. 

Déchirant une proie enlevée au tombeau, 

En me voyant venir, tout joyeux, un corbeau 

Croasse, et, s’envolant aux steppes de l’Ukraine, 

Par un pouvoir magique à sa suite m’entraîne, 

Et j’aperçois bientôt, non loin d’un vieux manoir, 

À l’angle d’un taillis, surgir un gibet noir 

Soutenant un pendu ; d’effroyables sorcières 

Dansent autour, et moi, de fureurs carnassières 

Agité, je ressens un immense désir 

De broyer sous mes dents sa chair, et de saisir, 

Avec quelque lambeau de sa peau bleue et verte, 

Son cœur demi-pourri dans sa poitrine ouverte.

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