Analyse, Madame Bovary, chapitre 8, passage de la mort d’Emma, Flaubert, 1857, commentaire.

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Madame Bovary, chapitre 8, troisième partie, « La mort d’Emma » Flaubert, 1857

Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s’était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l’appartement. Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme au contrecoup d’une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sa-bots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :

Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver fillette à l’amour.

Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moissonne,
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.

– L’Aveugle s’écria-t-elle.

Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

Il souffla bien fort ce jour-là,
Et le jupon court s’envola !

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion du chapitre 8, « La mort d’Emma » de Madame Bovary, Flaubert, 1857.

Introduction :

En 1857 paraît Madame Bovary qui deviendra le symbole du réalisme, et une référence pour la génération d’écrivains naturalistes qui arrive. Œuvre scandaleuse à l’époque, Flaubert gagne finalement le procès pour immoralité intenté contre son livre, et rencontre le succès. Il cherche à montrer les faiblesses humaines, à travers une peinture précise de la réalité. (accroche avec informations sur l’auteur)

Ainsi, Madame Bovary, qui raconte l’histoire d’une femme dans la province normande du XIX ème siècle à la recherche d’aventures sentimentales pour fuir son ennui, trouve son origine dans un fait divers réel : celui de l’affaire Delamare en 1848, où une jeune femme se suicide d’ennui près de Rouen, comme Emma Bovary à fin du roman. Cet extrait nous décrit la mort du personnage principal, Emma Bovary. Dans son soucis du détail, Falubert assista à plusieurs agonies avec un ami pharmacien, afin de reproduire celle d’Emma au plus proche du réel. Ses derniers instants vécus dans sa chambre sont scrutés par une petite assemblée. (présentation de l’oeuvre et du passage)

Comment Flaubert, à travers la mort d’Emma, exprime-t-il un jugement sur son personnage principal ? (problématique)

Dans un premier temps, nous dégagerons le puissant réalisme e la scène, avant d’en montrer la tonalité à la fois tragique et grotesque. (annonce de plan)

(introduction en quatre parties avec l’accroche, la présentation du texte, la problématique et l’annonce de plan)

I- Le triomphe du réalisme.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) une écriture réaliste.

    • utilisation d’un point de vue externe qui met le lecteur en position de spectateur, ajoute de la réalité et de la proximité par rapport à la scène.

    • Adverbes temporels qui marquent la progression de la l’agonie, ses étapes : « aussitôt », « A mesure », « tout à coup ».

    • une écriture différenciée selon les moments : accumulation et longue phrase pour décrire les manifestations physiques de l’agonie « La langue tout entière… », et phrase courte et sans procédés littéraires pour décrire la mort : « Elle n’existait plus ».

    • Enfin, construction « cinématographique » du passage : focalisation sur Emme dans un premier temps (les deux premières phrases), puis description de l’attitude de chaque personnage, avec une insistance sur Charles, sur le mari (jusqu’à la fin du paragraphe), élargissement vers l’extérieur avec la chansonnette , et retour sur Emma.

b) Une description détaillée de l’agonie.

    • champ lexical de l’anatomie, du corps très présent : « sa poitrine », « La langue », « ses yeux », « ses côtes », « battement de coeur », « les cheveux », « la prunelle », impression d’une description médicale renforcée à la fin par le terme « convulsion ».

    • mise en avant des sens, surtout de l’ouïe : « souffle furieux », « le râle », « sourd murmure », « un bruit », « une voix », « chantait », la vue aussi est présente dans le texte, mais de manière moins significative et aussi pour montrer son absence « ses yeux », « prunelle fixe », « L’aveugle ! », comme si Emma était déjà partie « les ténèbres ».

    • Encore, description précise des attitudes des personnages : « Félicité s’agenouilla », « le pharmacien fléchit un peu les jarrets », « M.Canivet regardait fixement », « Bournisier s’était remis en prière », « Charles était de l’autre côté ». Tableau de la scène avec une position différente pour chaque personnage.

    • Fonction et intérêt des personnages en rapport avec leur proximité avec Emma : Charles, son mari est très proche « Il avait pris ses mains », la bonne Félicité prie, le pharmacien s’y met mais avec moins d’entrain(« fléchit un peu »), le médecin sait le sort d’Emma , et le prêtre effectue sa tâche « ses oraisons ». tableau réaliste d’une scène de mort à domicile dans la province du XIXème siècle.

c) Une nouvelle dénonciation du romantisme.

    • Pas d’idéalisation de la mort. Elle est montrée brutalement, sans concession : Emma n’est plus belle « cheveux dénoués », « rire atroce ». Elle ressemble déjà à une morte : « à la croire déjà morte », « comme un cadavre ».

    • caractère d’Emma inchangé, même à l’approche de la fin : « croyant voir la face hideuse du misérable …comme un épouvantement », elle ne supporte toujours pas la laideur, la pauvreté, l’environnement provincial et paysans dans lequel elle vit. Pas de rémission non plus de ses péchés, de ses fautes.

    • Chansonnette rappelle par contre ses fautes, et sa vision romantique de la vie : « Fait rêver fillette d’amour », « Et le jupon court s’envola ! ». Elle résume ainsi la vie d’Emma, ses amours déçus, et sa fin prochaine « la faux »(allégorie de la mort). L’aveugle offre alors une oraison funèbre ironique à la mort d’Emma. La vie n’est pas romantique, et l’oublier conduit comme pour Emma à la perte.

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

II- Une fin tragique et grotesque.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) La souffrance et la mort.

    • registre pathétique très présent : souffrance physique « haleter », « secouées », « tressaillant », souffrance morale « sanglots étouffés de Bovary ».

    • le tragique s’exprime par l’omniprésence de la mort dans le passage : « morte », « le râle », « cadavre ». La dernière phrase exprime d’ailleurs le caractère inexorable, définitif de la mort d’Emma : « Elle n’existait plus ».

    • La fatalité de cette issue se voit à travers les réactions des personnages : prières pour Félicité et Homais, absence d’espoir pour Canivet, et accélération de l’oraison pour le prêtre.

    • Une fin inéluctable comme conséquence des choix funestes d’Emma. La fatalité ne vient pas juste du moment présent comme la rappelle la chansonnette de l’aveugle : « Pour amasser diligemment/Les épis que la faux moissonne », c’est à dire profiter des amours « romantiques » avant la mort. Le mot « fillette » montre bien que cette destinée avait débuté depuis longtemps. Emma a subit son destin qu’elle voulait romantique, mais finalement fatal, quand l’autre alternative était d’affronter une réalité dure, mais une vie plus longue.

b) Une métaphore religieuse.

    • forte présence de la religion dans le texte à travers un champ lexical développé : « crucifix », « prière », « soutane », « l’ecclésiastique », « oraisons »,. A la fois réalité d’une époque où la religion chrétienne était encore au cœur de la société, mais aussi évocation d’un enjeu plus spirituel de la mort d’Emma.

    • Si l’agonie de son corps est décrite avec précision et détails, l’auteur s’intéresse aussi au sort de son âme : « l’âme ». Il sous-entend qu’Emma risque e terminer en enfer : « les ténèbres éternelles ». et l’aveugle apparaît alors comme le passeur vers l’autre rive, et/ou un avant-goût du jugement dernier, du jugement des âmes avec le rappel de sa conduite et de ses aspirations passées.

    • Enfin, ses fautes (adultère) et sa mort (suicide) ne paraissent pas devoir lui assurer le paradis. C’est aussi pourquoi sa mort est si brutale, et qu’elle semble comme possédée « d’un rire atroce, frénétique, désespéré ». Sa dernière apparence est presque diabolique.

c) Une mort grotesque.

    • Tout d’abord la présence d’une chansonnette familière donne au passage une tonalité un peu grotesque qui tranche avec la gravité de la situation : notamment les termes « Nanette », ou « jupon court ».

    • La mort en elle-même fait d’Emma un pantin désarticulé, et ne montre aucune grandeur ou solennité : « Une convulsion la rabbatit sur le matelas. […]Elle n’existait plus ». Cette longue et éprouvante agonie ne débouche sur rien d’autre qu’une ultime convulsion. Et sa dernière parole est elle-même sans importance : « L’aveugle ! », criée pourtant comme une parole lourde de sens et de conséquences. Ironie sur Emma une dernière fois, et son caractère frivole.

    • Enfin, la petite assemblée composite réunie autour d’elle ne participe pas non plus à créer une atmosphère solennelle : Félicité prie (Flaubert une fois encore se moque de sa foi), le pharmacien athée s’y met de mauvaise grâce (« fléchit un peu »), le prêtre absorbe la lumière au lieu de la donner (« sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans tout l’appartement »), et Canivet est lointain. Seul personnage entièrement concerné par la mort d’Emma : Charles, justement celui qu’elle veut fuir…

    • Enfin, l’action finale des personnages montrent une attitude normale et réaliste, bien loin de la noblesse ou de la dignité généralement décrite dans les romans : « Tous s’approchèrent ». Impression que malgré ces personnes présentes, Emma meurt seule.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

Conclusion :

La mort d’Emma constitue un passage marquant de l’oeuvre. Sans concession aucune au romantisme, sans chercher à idéaliser la mort, Flaubert décrit avec détails, et réalité l’agonie de son personnage principal. Son regard est presque « clinique », médical. La manière d’aborder la scène avec un point de vue externe neutre et une description précise et concise des personnages présents renforcent ce réalisme. La fin d’Emma est tragique et grotesque à la fois. La fatalité de sa chute est rappelé par l’aveugle, et par les multiples références religieuses du texte. Mais, la rapidité de sa mort finale, les diverses réactions des personnages, ainsi que la tonalité presque comique de la chansonnette confèrent un caractère familier à cette mort. (réponse à l’annonce de plan)

Flaubert ne clôt pas définitivement son œuvre avec la mort du personnage éponyme. Il débute cependant la fin tragique de son œuvre, provoquée par le romantisme idiot d’Emma. Il paraît définitivement la juger en lui promettant l’enfer, et en tirant un trait brutal sur ses rêveries romantiques par le grotesque de la situation, comme par la victoire finale de la réalité extérieure représentée par l’aveugle. (réponse à la problématique)

La mort d’Emma, en effet, débute la fin tragique du roman. Epuisé, désespéré, anéanti par le chagrin, Charles la suivra. Le mal romantique d’Emma se propage donc jusqu’à la fin, sur ses proches, même en-dehors d’elle-même. Si sa vie ne fut pas heureuse, elle gâcha aussi celle de son mari, pourtant si attaché à elle, comme l’a montré toute l’oeuvre (et en particulier l’extrait étudié). (ouverture)

(conclusion en trois parties avec réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, et ouverture)

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9 commentaires sur “Analyse, Madame Bovary, chapitre 8, passage de la mort d’Emma, Flaubert, 1857, commentaire.”

  1. Bonjour, j’ai une question à propos de l’ouverture dans la conclusion. Je ne comprend pas vraiment en quoi est-ce une ouverture, j’ai du mal à identifier quelle est la question et sur quoi elle ouvre.

    1. Bonjour,
      la morrt d’emma ne clôture pas le roman.
      C’est la mort de Charles qui le termine, comme c’était lui qui débutait le roman. Une ouverture n’est pas forcément une question. Cela peut être aussi une observation.

  2. Ah d’accord je comprend mieux… Est ce que par exemple on pourrait dire que Flaubert , en tuant Emma par suicide, lui donne une sorte de libérté paradoxale (puisque dans la religion le suicide est un acte transgressif) et même qu’il s’identifie à Emma?

    1. pas qu’il s’identifie à emma, car il rejette ses idées romantiques, Sur le côté transgressif par rapport à la religion, c’est une réflexion possible, notamment avec la présence du prêtre qui est vue de manière ironique dans le passage.

  3. Bonjour,

    Il y a quelque chose que je ne saisis pas bien. Dans ce plan, vous semblez démontrer que Madame Bovary est un roman purement réaliste, tout comme l’aurait été Flaubert, qui dénoncerait le romantisme.
    Pourtant, je croyais que Flaubert lui-même détestait le réalisme et se sentait d’ailleurs plus proche des romantiques (La Tentation de St-Antoine, Salâmmbo…) que des réalistes. Pouvez-vous m’éclairer ?

    Merci !

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