Lorenzaccio, Acte III (3), scène 3, commentaire, Analyse, Musset, 1834.

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Lorenzaccio, acte III, scène 3, Musset, 1834.

LORENZO. Suis-je un Satan ? lumière du Ciel ! je m’en souviens encore ; j’aurais pleuré avec la première fille que j’ai séduite, si elle ne s’était mise à rire. Quand j’ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice comme un enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable. je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front. j’avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant ; à Philippe ! j’entrai alors dans la vie, et je vis qu’à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ; l’humanité souleva sa robe et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa monstrueuse nudité. j’ai vu les hommes tels qu’ils sont, et je me suis dit : Pour qui est-ce donc que je travaille ? Lorsque je parcourais les rues de Florence, avec mon fantôme à mes côtés, je regardais autour de moi, je cherchais les visages qui me donnaient du coeur, et me demandais : Quand j’aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ? j’ai vu les républicains dans leurs cabinets ; je suis entré dans les boutiques, j’ai écouté et j’ai guetté, j’ai recueilli les discours des gens du peuple ; j’ai vu l’effet que produisait sur eux la tyrannie ; j’ai bu dans les banquets patriotiques le vin qui engendre la métaphore et la prosopopée ; j’ai avalé entre deux baisers les armes les plus vertueuses ; j’attendais toujours que l’humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d’honnête. j’observais comme un amant observe sa fiancée en attendant le jour des noces.

PHILIPPE. Si tu n’as vu que le mal, je te plains, mais je ne puis te croire. Le mal existe, mais non pas sans le bien ; comme l’ombre existe, mais non sans la lumière.

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion d’un passage de l’Acte III, scène 3 de Lorenzaccio, Musset, 1834.

(Ceci est un exemple et non un modèle. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture).

(les lignes indiquées sont celles de la pièce, et non du passage ci-dessus)

Introduction :

Alfred de Musset est un grand auteur romantique connu pour avoir écrit ce qui ressemble à un manifeste du romantisme avec La confession d’un enfant du siècle en 1836, et de nombreuses pièces de théâtre. Le théâtre de Musset a la particularité d’avoir été fait pour être lu, plus que pour être joué. Adepte du théâtre de salon, après plusieurs échecs commerciaux, il s’inspire souvent de sa vie tourmentée et passionnée pour composer ses héros. Blessé par sa rupture sentimentale avec George Sand, désabusé par son époque, et portant un regard critique sur lui-même, il trouve dans l’écriture une expression à ses déceptions. (accroche avec informations sur l’auteur)

Lorenzaccio conte l’assassinat du duc de Florence, Alexandre de Médicis, par son cousin, Lorenzo (dit Lorenzaccio) en 1537, dans une atmosphère de complot et d’agitation politique intense dans la capitale de la Renaissance. A l’intérieur d’un décor historique en partie réel, Musset cherche à comprendre la personnalité de Lorenzaccio, ainsi que ses motivations. La scène dont est extrait le passage étudié oblige le héros à dévoiler son projet à Philippe Strozi, dont les deux enfants ont été arrêtés, soupçonnés de participer à une conspiration contre le duc. L’extrait nous montre un Lorenzaccio troublé, qui peine à trouver des justifications philosophiques ou politiques à son projet d’assassinat. Il comprend sa tirade et la réponse de Philippe Strozzi. (présentation du passage)

Quelle est dès lors la fonction de cette scène dans la pièce ? (ou quelle vision de son héros Musset nous propose-t-il à travers cet extrait ?)(problématique).

Dans un premier temps, nous analyserons la vision pessimiste de l’homme portée par Lorenzaccio. Puis, nous mettrons en avant la figure du héros romantique, avant de montrer que cet extrait constitue une argumentation à la fois désordonnée et construite. (annonce de plan).

(introduction en quatre parties : accroche, présentation du passage, problématique, et annonce de plan).

I- Une vision pessimiste de l’homme.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Florence, ville hypocrite.

  • Lorenzaccio veut défaire le pouvoir en place, le duc Alexandre de Médicis, qu’il juge corrompu, vicieux et tyrannique : « l’effet que produisait sur eux la tyrannie »(l.372). Ce mal s’étend et pèse sur toute la ville.
  • Cependant, il n’a pas une plus haute vision des opposants, des républicains :  « J’ai vu les républicains dans leurs cabinets »(l.370), « j’ai bu dans les banquets patriotiques le vin qui engendre la métaphore et la prosopopée »(l.373-374). Il insinue que les opposants ne font rien d’autre que discuter, et n’agissent pas. Leurs discours sont donc mensonges.
  • Enfin, il ne montre pas plus de considération pour les basses classes populaires « J’ai recueilli les discours des gens du peuple »(l.371). De cette observation minutieuse, accumulation entre l.369 et l.375, rien de bon ne sort finalement : « j’attendais toujours »(l.375). Constat d’échec dans sa quête du bien : « je cherchais les visages qui me donnaient du coeur »(l.367)

b) Une humanité entière dans le vice.

  • son jugement pessimiste concerne toute l’humanité, insistance sur cette universalité : « tout le monde »(l.361), « l’humanité »(l.362), « les hommes »(l.364), « l’humanité »(l.375).
  • Description d’une humanité hypocrite, dont l’apparence est contraire à la nature profonde détestable : « tous les masques tombaient devant mon regard »(l.361). Mise en avant du caractère hypocrite et mensonger des hommes.
  • Métaphore violente pour décrire une humanité sale et dans le péché : « l’humanité souleva sa robe et me montra […]sa monstrueuse nudité »(l.362-363). L’humanité est donc une prostituée. Elle se complaît dans la luxure, et est prête à se vendre, à se corrompre.

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction).

II- Un héros romantique.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Un être solitaire et tourmenté.

  • un registre lyrique omniprésent : toutes les phrases de sa tirade comprennent la première personne du singulier : « Suis-je »(l.353), « Quand j’ai »(l.353), « Je croyais »(l.357)…Expression puissante du lyrisme cher aux romantiques qui mettaient en avant l’individu. Souffrance, registre pathétique marqué par les exclamations : « Lumière du Ciel »(l.353), « ô Philippe ! »(l.360).
  • Tourment du héros, il doute : question rhétorique du début « Suis-je un Satan ? »(l.353), « je me demandais »(l.368), nouvelle question « Quand j’aurai fait mon coup, celui-là en profitera-t-il ? »(l.368-369). Solitude du personnage dans ce monde, où il est un spectateur du vice « et je vis qu’à mon approche »(l.360).
  • Enfin, référence historique habituelle du romantisme : « mon rôle de Brutus moderne »(l.354). Le Brutus en question est celui qui jouait le rôle d’un fou afin de pouvoir renverser le régime tyrannique de Tarquin et installer la République romaine (vers -509). Lorenzo s’identifie à lui.

b) La perte des illusions.

  • passage difficile à l’âge adulte : « j’entrais alors dans la vie »(l.360), « comme un enfant de dix ans »(l.355). Lorenzaccio vient de laisser derrière lui sa jeunesse et ses illusions : « Je croyais que la corruption était un stigmate, et que les monstres seuls le portaient au front »(l.356-357). Perte d’innocence brutale. Se rend compte de la complexité des hommes et du monde.
  • Désillusion sur la véritable nature humaine : « J’ai vu les hommes tels qu’ils sont »(l.364). Désillusion sur lui-même aussi :  « je marchais dans mes habits de la grande confrérie du vice »(l.354-355). Sentiment puissant de culpabilité « mes vingt années de vertu éraient un masque étouffant »(l.359), « Suis-je un Satan ? »(l.353)
  • Appel désespéré à Dieu pour se sauver « Lumière du ciel ! »(l.353). Même l’amour apparaît comme hypocrite et peu digne de confiance, comparaison l.376-377 : « J’observais comme un amant observe sa fiancée en attendant le jour des noces ». Il exprime ici une vision désillusionnée de l’amour, et son manque de confiance dans les femmes, montrées comme prêtes à trahir, à tromper. (expérience personnelle de Musset avec les femmes).

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

III- Un passage argumentatif.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Une logique désordonnée.

  • Lorenzaccio cherche à se convaincre lui-même du bien-fondé de son projet d’assassinat : « Pour qui est-ce donc que je travaille ? »(l.365), « Quand j’aurai fait mon coup en profitera-t-til ? »(l.368-369). Il cherche des bonnes raisons pour se justifier, et justifier sa conduite.
  • Utilisation de procédés argumentatifs comme les questions rhétoriques, des connecteurs logiques (« et », « alors », « et »), exemples précis et concrets à valeur argumentaire « Lorsque je parcourais les rues de Florence »(l.365-366) ancrage dans la réalité, « les républicains »(l.369), « les cabinets » « les boutiques »(l.370), lieux précis.
  • Construction en trois temps : vision de sa personne (l.353-360), de l’humanité (l.360-364, et 375-376), de Florence (l.365-375). Seulement pas de hiérarchie, ni de progression dans ses étapes (il ne part pas de lui vers Florence et l’humanité en élargissant, ou l’inverse en descendant, pas de gradation).
  • De plus, tonalité lyrique et hyperboles « un Satan »(l.353), « tout le monde »(l.361), accumulation (l.369-374), « toujours »(l.375) donnent l’impression d’un esprit désordonné et peu lucide. Fausse logique qui ne prend en compte que les éléments négatifs pour aboutir au résultat d’une présence universelle du vice.

b) La sagesse de Philippe.

  • morale apportée finalement par Strozzi : « Le mal existe, mais on pas sans le bien »(l.379). Présent de vérité générale. Vision mesurée et raisonnable du monde reforcée par la comparaison naturelle « comme l’ombre existe, mais on sans la lumière. »(l.379-380). Utilisation de parallélismes afin de contrer la vision de Lorenzaccio.
  • Marque son opposition au pessimisme de son interlocuteur : « mais »(l.380). Figure du sage plus âgé, et ayant plus d’expérience. De plus, sa parole peut difficilement être remise en cause, car il est un opposant à Alexandre de Médicis.
  • Jugement non moral, mais affectif de Philippe : « Si tu n’as vu que le mal, je te plains »(l.378). Brièveté de sa réponse apporte aussi de la crédibilité face à la longueur de la tirade d’un Lorenzaccio énervé.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

Conclusion :

Cet extrait de Lorenzaccio prend la forme d’une tirade lyrique et pathétique. Le héros nous expose sa vision pessimiste de l’homme. Il ne voit en l’humanité que le vice et l’hypocrisie. Spectateur solitaire et désabusé de ce monde, il incarne par plusieurs traits de caractère le héros romantique de cette première moitié du XIXème siècle, qui recherche vainement la noblesse et la vertu dans son époque. L’apparente argumentation de Lorenzaccio se perd cependant dans une construction mal maîtrisée, et trouve dans la réplique de Philippe une opposition beaucoup plus courte, mais plus efficace. (réponse à l’annonce de plan).

A travers cette scène, Musset nous montre l’esprit tourmenté de son héros, qui ,s’il ne renonce pas au meurtre qu’il prépare, doute de plus en plus de l’utilité de cet assassinat et de lui-même. Dans cette tirade, la problématique de la pièce apparaît. Elle n’est pas centrée sur l’acte de Lorenzaccio mais plutôt sur les conséquences que cet acte développe sur sa conscience. Il est torturé par son projet. (réponse à la problématique)

Comme dans beaucoup de ses œuvres, Musset s’identifie à son personnage principal, et crée en partie avec Lorenzaccio un double de lui-même : désillusionné sur son époque, critique sur sa conduite, solitaire parmi les autres. Cet être débauché et passionné à la fois, ce reflet du poète tel qu’il se voyait se retrouve encore dans les Caprices de Marianne (1833). (ouverture).

(conclusion en trois parties : réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique et ouverture).

À lire pour remercier votre serviteur même si je ne suis pas Musset:-) : Je lance un appel aux forces de l’amour! Faites circuler les poésies d’amour de lescoursjulien.com ?‍❤️‍?

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