Le fou et la vénus, le Spleen de Paris, VII (Livre VII), Baudelaire, 1869 — Commentaire, analyse.

« Le fou et la vénus », Le Spleen de Paris, Baudelaire, 1869.

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Baudelaire (Photographie Etienne Carjat)

« Le fou et la vénus », VII du Spleen de Paris, Baudelaire, 1869.

Quelle admirable journée! Le vaste parc se pâme sous l’oeil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l’Amour.L’extase universelle des choses ne s’exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c’est ici une orgie silencieuse.On dirait qu’une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l’azur du ciel par l’énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l’astre comme des fumées.Cependant, dans cette jouissance universelle, j’ai aperçu un être affligé.Aux pieds d’une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l’Ennui les obsède, affublé d’un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l’immortelle Déesse.Et ses yeux disent: – « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux.Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle Beauté! Ah! Déesse! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire! »Mais l’implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.

Exemple d’un plan de commentaire, avec introduction et conclusion, du poème. (ceci n’est évidemment pas un modèle, mais un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture).


Introduction :

Avec le Spleen de Paris, l’auteur concrétise son désir d’écrire en prose de la poésie, et apporte une nouvelle fois modernité et originalité à l’art poétique. Déjà familier du style prosaïque dans ses écrits sur l’art, dans les Paradis artificiels, ou dans ses traductions de Poe, Baudelaire œuvre dans les dernières années de sa vie à ce grand projet, inspiré par le Gaspard de la nuit d’Alosiyus Bertrand. (accroche)

Ce septième poème en prose du recueil nous décrit une scène étonnante dans laquelle un personnage d’apparence excentrique (le fou) prie une statue de Vénus dans un parc, dont la végétation renaît au printemps. Il se concentre sur la description du parc, puis sur celles de la statue et du fou. Sous l’apparence d’une petite histoire sans relief, l’auteur philosophe sur l’amour, la femme, et sur lui-même. (présentation du texte)

Comment le poète exprime-t-il son désespoir et sa condition à travers ce texte ? (problématique)

Nous détaillerons tout d’abord les éléments poétique, la manière poétique utilisés par l’auteur pour exprimer ses sensations et émotions, puis nous montrerons que l’univers décrit est typiquement baudelairien. (annonce de plan).

(introduction en quatre parties avec l’accroche, la présentation du texte, la problématique et l’annonce de plan).


I — L’art poétique.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) L’écriture poétique.

Tout d’abord, la prose de Baudelaire est imagée : métaphores « Le vaste parc se pâme », « rendant visibles les parfums », comparaisons « comme la jeunesse », « comme des fumées », ou personnifications « les fleurs excitées brûlent de désir »..

  • utilisation d’hyperboles : « admirable journée ! », « vaste parc » (presque un oxymore), « colossale Vénus »…
  • découpage du texte en sept paragraphes pouvant s’apparenter à sept strophes.
  • rupture et basculement du poème à la moitié, avec l’adverbe « Cependant ». : Division en deux parties composées de trois paragraphes chacune et: 1,2 et 3 ont pour thème le parc et la nature, 5,6 et 7 le fou et la Vénus. À l’harmonie exprimée dans les premières strophes correspondent les paradoxes de la seconde partie : « Cependant », « Mais ».

b) L’amour.

Thème important du poème, et traditionnellement de la poésie mis en avant dès le premier paragraphe avec la majuscule, et la position en dernier du mot « Amour ».

La saison semble être le printemps, saison de l’amour avec le soleil, la floraison, et le pollen « les fait monter vers l’astre comme des fumées »(métaphore).

Champ lexical développé de l’amour et de la sensualité : « orgie », « désir », « jouissance », « amour ». Vénus est elle-même la déesse de la beauté et de l’amour.

Opposition entre l’amour débordant et heureux de la nature, et la triste solitude du bouffon « privé d’amour et d’amitié ».

    • La chaleur du début se transforme ne froidure de marbre(paragraphes 1-7), « L’extase universelle » en solitude (2-6), l’explosion sensorielle en larmes (3-5), correspondances entre les paragraphes, qui montrent à la fois le bonheur de l’amour, et le malheur de celui qui en exclut.

Double vision donc de l’amour, partagé et heureux dans la nature, impossible et malheureux pour les hommes : « Bien différente des fêtes humaines »,

c) Un poème lyrique et pathétique.

Présence du « je » à partir de la moitié du poème : « j’ai aperçu », « je ne sais », aussi le « je » du fou « Je suis le dernier », « je suis fait ».

La première partie du poème expose les sensations, et la vision du poète dans le parc. La deuxième partie se concentre sur sa réflexion concernant le fou, et sur les pensées du bouffon. Texte lyrique pour l’auteur et le fou.

Enfin, le poème apparaît comme pathétique, avec une insistance dans la deuxième partie sur la détresse morale du bouffon : « être affligé », « yeux pleins de larmes », « ayez pitié de ma tristesse », ponctuation expressive « Beauté!Ah!Déesse ! »(succession de points d’exclamation marquant son désespoir).

Fin tragique, impasse pour le fou qui subit son destin : « Mais l’implacable Vénus regarde au loin ».

(phrase de conclusion/transition à la fin de la partie lors de la rédaction).


II — L’univers baudelairien.  

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Un tableau sensoriel.

Description picturale du parc avec des jeux de lumières et des couleurs : « soleil », « les eaux » (bleues ), « lumière », « azur du ciel » (bleu), « leurs couleurs ».

Point de vue de départ comme celui d’un spectateur. Le poète décrit le paysage qu’il voit au lecteur, qui se retrouve ainsi aussi dans la position du spectateur : « On dirait ». Point de vue général et universel.

Comme souvent chez Baudelaire, les sens prennent beaucoup d’importance :

  • « l’oeil », « des yeux », « ses yeux », « regarde »(la vue), « parfums »(l’odorat).
  • Particularité de l’ouïe : « aucun bruit », « silencieuse », « ses yeux disent ». Présente par les mots du texte, elle est cependant absente durant tout le poème, et renforce cette impression d’être en face d’un tableau, puisque même les supplications du bouffon passe par son regard. De plus, on observe encore une absence de mouvement : « les eux elles-mêmes sont endormies », statue immobile et sans réaction.

b) Une femme divinisée et inaccessible.

Le bouffon est en posture de prière devant la statue, la représentation de Vénus : « Aux pieds d’une colossale Vénus », « ayez pitié », demande la miséricorde de la divinité. Évocation d’une prière païenne comme dans les temples romains de l’Antiquité.

La Venus de Milo
La Vénus de Milo, © 2010 Musée du Louvre / Anne Chauvet « Découverte en avril 1820 à Mélos (ou Milo) dans l’archipel des Cyclades, la statue (vers 130-100 av. J.-C) pourrait représenter Aphrodite, déesse de l’Amour (Vénus est son nom latin) ou bien Amphitrite… »

Champ lexical de la divinité : « Vénus » (déjà dans le titre), « Déesse »(deux fois et toujours avec une majuscule, marquant le respect), « Beauté », métonymie symbolisant la perfection de la déesse et de la statue, répétition enfin de « immortelle », caractéristique divine par excellence.

Cette statue de Vénus est une allégorie, une représentation de la femme. Cette femme baudelairienne apparaît comme impressionnante « colossale », écrasant l’homme « Aux pieds », insensible aux désirs des hommes « implacable ». Sa principale, et presque unique qualité est sa « Beauté ».

c) La solitude du poète.

L’autre figure du poème est « le fou », comme l’indique le titre. Il présente un contraste saisissant avec la déesse.

Déjà, c’est un être humain à part entière : « un être affligé », il provoque la pitié « tout ramassé contre le piédestal ». Son apparence tranche avec la beauté de la déesse « affublé d’un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes ».

Il exprime ensuite sa détresse, et se sent exclu du genre humain par sa solitude « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains ».

Par la chute, le dernier paragraphe, nous comprenons que le fou est l’auteur « regarde je ne sais quoi avec ses yeux ». Cette apparition fantastique, surréaliste est un double de Baudelaire. Sa condition de poète le laisse seul, il écrit pour distraire les autres « chargés de faire rire les rois », il connaît la beauté mais ne peut l’approcher « je suis fait moi aussi pour comprendre et sentir… »

Enfin, l’évocation du spleen nous fournit un dernier indice « le Remord ou l’Ennui »(insistance avec les majuscules), et « ma tristesse et mon délire »qui sont ceux du poète.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)


Conclusion :

Ce texte en prose revêt un caractère poétique tout d’abord par son écriture qui emprunte des procédés poétiques comme les images, le découpage en strophe, et une structure symétrique. Le thème traditionnel de l’amour participe encore à rendre ce texte poétique. Enfin, les registres lyrique et pathétique émeuvent le lecteur. Cette recherche esthétique s’exprime grâce aux sens et à une peinture du parc, qui sert de décor à une description habituelle de la femme inaccessible et belle chez Baudelaire, et à l’irruption du spleen à travers le triste personnage du bouffon. (réponse à l’annonce de plan)

Ce poème utilise évidemment les correspondances. A la nature belle et désirable correspond la Vénus, la femme ; au poète seul témoin correspond le bouffon, et le point de vue de spectateur devient à la fin celui de l’acteur de la scène. Le poète et le bouffon ne font qu’un, leur incapacité à se faire aimer des femmes, leur condition d’amuseur de puissants se ressemblent. Derrière lle bouffon se cache Baudelaire qui nous fait part de sa détresse sentimentale. (réponse à la problématique)

La description ridicule et pathétique du bouffon, représentation de l’auteur, nous ramène comme les thèmes du texte au recueil des Fleurs du Mal. En effet, dans l’Albatros, nous étions déjà face à une métaphore du poète (en oiseau des mers), qui devenait ridicule une fois descendu du ciel, une fois réintégré dans la société des hommes, sorti de ses rêveries, comme ce triste bouffon qui fait rire les autres, mais pleure seul. (ouverture)

(conclusion en trois parties avec la reprise des conclusions partielles, la réponse à la problématique, et l’ouverture).

 

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