« Le désarroi de Frédéric », chapitre 5, partie 1, l’éducation sentimentale, Flaubert, 1869, commentaire, analyse.

« Il passait des heures à regarder, du haut de son balcon », extrait de L’éducation sentimentale, Partie 1, chapitre 5, Flaubert, 1869.

Il passait des heures à regarder, du haut de son balcon, la rivière qui coulait entre les quais grisâtres, noircis, de place en place, par la bavure des égouts, avec un ponton de blanchisseuses amarré contre le bord, où des gamins quelquefois s’amusaient, dans la vase, à faire baigner un caniche. Ses yeux délaissant à gauche le pont de pierre de Notre−Dame et trois ponts suspendus, se dirigeaient toujours vers le quai aux Ormes, sur un massif de vieux arbres, pareils aux tilleuls du port de Montereau. La tour Saint−Jacques, l’Hôtel de Ville, Saint−Gervais, Saint−Louis, Saint− Paul se levaient en face, parmi les toits confondus, −− et le génie de la colonne de Juillet resplendissait à l’orient comme une large étoile d’or, tandis qu’à l’autre extrémité le dôme des Tuileries arrondissait, sur le ciel, sa lourde masse bleue. C’était par−derrière, de ce côté−là, que devait être la maison de Mme Arnoux.

Il rentrait dans sa chambre ; puis, couché sur son divan, s’abandonnait à une méditation désordonnée : plans d’ouvrages, projets de conduite, élancements vers l’avenir. Enfin, pour se débarrasser de lui−même, il sortait.

Il remontait, au hasard, le Quartier latin, si tumultueux d’habitude, mais désert à cette époque, car les étudiants étaient partis dans leurs familles. Les grands murs des collèges, comme allongés par le silence, avaient un aspect plus morne encore ; on entendait toutes sortes de bruits paisibles, des battements d’ailes dans des cages, le ronflement d’un tour, le marteau d’un savetier ; et les marchands d’habits, au milieu des rues, interrogeaient de l’oeil chaque fenêtre, inutilement. Au fond des cafés solitaires, la dame du comptoir bâillait entre ses carafons remplis ; les journaux demeuraient en ordre sur la table des cabinets de lecture ; dans l’atelier des repasseuses, des linges frissonnaient sous les bouffées du vent tiède. De temps à autre, il s’arrêtait à l’étalage d’un bouquiniste ; un omnibus, qui descendait en frôlant le trottoir, le faisait se retourner ; et, parvenu devant le Luxembourg, il n’allait pas plus loin.

Partie I, chapitre V.

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion du passage « Le désarroi de Frédéric », Partie I, chapitre 5, L’éducation sentimentale, Flaubert, 1869.

(Ceci n’est évidemment pas un modèle, mais un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture).

Introduction :

C’est avec Madame Bovary et le scandale que causa sa parution que Flaubert devint un écrivain connu en 1857. Pourfendeur du romantisme, et fidèle observateur de la nature humaine, il continua à décrire avec fidélité les hommes de son époque. L’éducation sentimentale s’inscrit dans cette ligne, et présente des éléments autobiographiques liés à son amour pour Elisa Schlésinger. (accroche).

Roman d’apprentissage d’un jeune provincial qui monte faire ses études à Paris, l’oeuvre va faire évoluer Frédéric pendant une petite trentaine d’années. Le fil conducteur de l’histoire est sa passion, qui restera sans succès, pour l’épouse d’un riche marchand d’art, Madame Arnoux. En arrière plan, Flaubert fait traverser à son personnage une période troublée de l’histoire de France où se suivent la Monarchie (jusqu’en 1848), la deuxième république (1848- 2 Décembre 1851) et le second Empire. Le texte est extrait du chapitre V de la première partie de l’oeuvre. Il se situe en été après les examens décevants de Frédéric, à l’époque jeune étudiant. Il vient d’apprendre l’absence de Madame Arnoux de Paris, quand il a cherché à la voir, et à la place a vu son mari. (présentation du passage)

Comment à travers une description, Flaubert montre-t-il la tristesse et le manque de volonté de Frédéric ? (problématique)

Tout d’abord, nous analyserons le caractère réaliste de cette description, avant d’en dégager sa signification, sa fonction de miroir des émotions de Frédéric. (annonce de plan).

(introduction en quatre parties avec : l’accroche, la présentation du texte, la problématique et l’annonce de plan).

I- Une description réaliste.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Description réaliste des lieux.

    • description de Paris. Les lieux cités nous l’indiquent, « notre-dame » par exemple.
    • Abondance de verbes à l’imparfait traduisant la description : « coulait »(l.1), « s’amusaient »(l.3), « dirigeaient »(l.5) et ainsi de suite dans tout le reste du texte.
    • Multitude de lieux cités : énumération ligne 7, description du quartier latin dans le dernier paragraphe. Le quartier latin est le quartier étudiant de Paris, ce qui explique l’attention portée au sujet de la scolarité. (Frédéric est lui-même étudiant)
    • Bâtiments décrits : comparaison pour la colonne de Juillet (l.8), couleur donnée pour le dôme des Tuileries (l.9)
    • Lieu de départ très précis aussi : « du haut de son balcon »(l.1)

b) Une organisation réaliste de la description.

    • Passage de l’intérieur à l’extérieur : paragraphe 1 : vision de Frédéric à partir du balcon de son appartement, paragraphe 2 transition « Il sortait » (l.13), paragraphe 3 description extérieure « Il remontait. »(l.14)
    • Passage d’une description fixe où seul le regard bouge « Ses yeux délaissant à gauche »(l.4), à une description en mouvement « Il remontait »(l.14) sur plusieurs plans « les grands murs des collèges »(l.15) premier plan, « Au fond des cafés »(l.18-19), arrière-plan.
    • La description se fait avec le point de vue du narrateur. Nous suivons le regard de Frédéric, puis le décor de sa promenade dans le dernier paragraphe. Réalisme d’une description ordonnée, faite d’une manière cinématographique.

c) La précision des détails.

    • utilisation de nombreuses énumérations qui apportent un nombre important de détails : l 1-2, l 6, l 17-18.
    • utilisation de plusieurs sens. La vue évidemment : « à regarder »(l.1), « Ses yeux »(l.4), « l’oeil »(l.18), mais aussi l’ouïe « silence »(l.16), « on entendait »(l.16). Réalisme vécu à travers les sensations du personnages.
    • Importance des couleurs : « grisâtres, noircis »(l.2), « d’or », « bleue »(l.9), des métiers « savetier »(l.17), « repasseuses »(l.20), « bouquiniste »(l.22), du climat « Un vent tiède »(l.21). Tableau le plus précis possible de la scène.
    • Quelques anecdotes qui ancrent la scène dans la réalité : le jeu des enfants avec le caniche (l.3-4), son attitude « couché sur son divan »(l.11), « la dame du comptoir baîllait »(l.19).

(phrase de conclusion/transition lors de la rédaction)

II- Un paysage état-d’âme.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) La solitude du héros.

    • pas de personnage présent à ses côtés. Absence de dialogue. Premier paragraphe entièrement centré sur la description du paysage urbain parisien, sans un seul être humain. Evocation de Mme Arnoux à la fin du paragraphe pour insister sur sa solitude : « la maison de Mme Arnoux »(l.10)
    • Insistance encore sur sa solitude dans le deuxième paragraphe : « pour se débarrasser de lui-même »(l.13). Sa seule conversation est avec lui-même. Impression d’enfermement. Son intérieur et sa solitude agissent comme une prison qui le coupe du monde.
    • Enfin, à l’extérieur, même situation : « désert »(l.14), « cafés solitaires »(l.19). La rue elle aussi marque sa solitude, et la solitude des rares êtres qu’il croise, qui ne parlent pas non plus. Seuls « toutes sortes de bruits paisibles »(l16,17) sont audibles. Absence donc de contact humain.

b) La lassitude de Frédéric.

    • expression de sa lassitude dès la première phrase : « Il passait des heures »(l.1). Impression d’une activité habituelle, longue et répétitive, renforcée par l’accumulation des lieux dans le premier paragraphe.
    • Deuxième paragraphe insiste encore sur cette lassitude : « couché sur son divan »(l.11), « méditation »(l.12). Inactivité du personnage.
    • Les allitérations nombreuses en « l » expriment cette lassitude : « balcon »(l.1), « coulait »(l.1), « les »(l.1), « délaissant »(l.4)…
    • description de l’environnement en miroir de son état d’esprit : « grisâtres, noircis, …, bavure des égouts »(l.2).
    • Tristesse perceptible par son obsession de Mme Arnoux, son absence : dernière phrase du premier paragraphe.

c) L’absence de but.

    • Frédéric est montré comme un spectateur de son propre état. Il n’a pas d’action à part celle de sortir. Le point de vue du narrateur implique que le personnage n’en a d’ailleurs pas.
    • L’action est laissée au hasard : « au hasard »(l.14), « De temps à autres »(l.21). Il n’a pas de plan : « et parvenu devant le Luxembourg, il n’allait pas plus loin. »(dernière phrase), ceci montre bien son errance sans but, pas d’explication donnée à son arrêt.
    • Le deuxième paragraphe insiste bien sur cette incapacité à se sortir de son état dépressif : « méditations désordonnées »(l.12). Il cherche à s’extraire du présent : « plans d’ouvrages, projets de conduite, élancements vers l’avenir »(l.12), mais cette énumération n’est pas suivie d’effets. L’auteur marque le manque de volonté de son personnage avec le connecteur « Enfin »(l.12) qui fait croire à un revirement de Frédéric, mais en fait est suivi par sa sortie.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

Conclusion :

Cet extrait de l’éducation sentimentale est donc très descriptif. Centré sur Paris, la description se déroule de manière réaliste avec une progression qui suit les pérégrinations du personnage, une grande précision dans l’évocation des lieux, et des détails. Cette descroption sert à nous montrer l’état d’âme de Frédéric, qui semble comme emprisonné dans sa solitude et son inaction par la lassitude et l’incapacité à réveiller sa volonté, à trouver un but à sa journée. (reprise des conclusions des parties)

L’auteur à travers ce passage descriptif nous dépeint un Paris calme en été, qui respire l’ennui. Il nous dresse aussi le portrait de son héros, velléitaire, mou, sans volonté, qui se laisse porter par ses humeurs, sans les combattre. (réponse à la problématique).

Si le réalisme de Flaubert suit celui de Balzac dans sa précision descriptive, et dans l’étude psychologique des personnages, il reste attaché à l’analyse de personnages qui subissent leur sort, comme dans Madame Bovary, où Emma paraît aussi prisonnière d’émotions qu’elle ne parvient pas à maîtriser. (ouverture)

(conclusion en trois parties : la réponse à l’annonce de plan, la réponse à la problématique, l’ouverture)

contact:lescoursjulien@yahoo.fr

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