La Thébaïde, Acte V, scène 1, Racine.(1664)
ANTIGONE, seule.
À quoi te résous-tu princesse infortunée ?
Ta mère vient de mourir dans tes bras,
1205 | Ne saurais-tu suivre ses pas, |
Et finir en mourant ta triste destinée ?
À de nouveaux malheurs te veux-tu réserver ?
Tes frères sont aux mains, rien ne les peut sauver
De leurs cruelles armes.
1210 | Leur exemple t’anime à te percer le flanc ; |
Et toi seule verses des larmes,
Tous les autres versent du sang.
Quelle est de mes malheurs l’extrémité mortelle ?
Où ma douleur doit-elle recourir ?
1215 | Dois-je vivre ? dois-je mourir ? |
Un amant me retient, une mère m’appelle.
Dans la nuit du tombeau je la vois qui m’attend ;
Ce que veut la raison, l’amour me le défend,
Et m’en ôte l’envie.
1220 | Que je vois de sujets d’abandonner le jour ! |
Mais hélas ! qu’on tient à la vie,
Quand on tient si fort à l’amour.
Oui tu retiens, amour, mon âme fugitive,
Je reconnais la voix de mon vainqueur,
1225 | L’espérance est morte en mon coeur, |
Et cependant tu vis, et tu veux que je vive.
Tu dis que mon amant me suivrait au tombeau,
Que je dois de mes jours conserver le flambeau,
Pour sauver ce que j’aime.
1230 | Hémon, vois le pouvoir que l’amour a sur moi, |
Je ne vivrais pas pour moi-même,
Et je veux bien vivre pour toi.
Si jamais tu doutas de ma flamme fidèle…
Mais voici du combat la funeste nouvelle.
Exemple de commentaire avec introduction et conclusion de l’Acte V, scène 1 de la Thébaïde de Racine.
Introduction :
Jouée en 1664 au théâtre du Palais-Royal, La Thébaïde fut la première pièce de Racine mise en scène. Le grand dramaturge classique était en effet au début de sa carrière, et n’avait pas encore rencontré le succès, qui viendrait quelques années plus tard avec Andromaque (1667). Il s’inspire ici du mythe grec d’Antigone qui continuait la malédiction d’Oedipe à travers ses enfants. Ce thème était calssique, et déjà travaillé par Sophocle (Antigone, – 442).(accroche de l’introduction avec contexte littéraire et auteur)
Ici, le tragédien du XVIIème siècle choisit de centrer son propos sur le combat des deux frères Polynice et Etéocle (d’où le deuxième titre de l’oeuvre, Les frères ennemis), et ses conséquences sur les autres personnages : Jocaste (mère d’Antigone et de ses deux frères), Créon (leur oncle), et Hémon (cousin et fiancé d’Antigone), et justement Antigone. Le début de l’acte V propose un monologue d’Antigone, qui attend l’issue du combat fratricide, après que sa mère se soit suicidée par chagrin et désespoir de voir ses deux fils s’affronter. Cette scène nous expose la douleur de l’héroïne, et nous plonge au cœur du dilemme qui l’habite:continuer à vivre dans ce cauchemar, ou rejoindre sa mère dans la mort. (présentation générale du texte à analyser)
Nous nous demanderons de quelle manière le jeune Racine arrive à construire une scène forte et intense, qui introduit le dénouement de la pièce. (problématique)
Ainsi, nous étudierons le caractère classique et tragique de cette scène, avant de nous attacher à comprendre la folie de l’héroïne, et l’attente suscitée par cette première scène du dernier acte. (annonce de plan)
(introduction avec : accroche, présentation du texte, problématique, annonce de plan).
I- Une scène classique et tragique.
(phrase d’introduction de la partie, de rappel du thème lors de la rédaction)
a) Une écriture classique.
- une écriture versifiée classique : alexandrins, et octosyllabes (vers 1203, vers 1204) ; alternance rimes masculines/féminines : « armes », « larmes » (féminines, vers 1209, 1211), « flanc », « sang » (masculines, vers 1210, 1212) ; de même schéma suivi de rimes embrassées, plates et alternées :vers 1203 à 1212, puis reprise du même modèle dans la suite du texte.
- Langue soutenue, et personnage aristocratique (Antigone, fille de roi, « princesse »,vers 1203) fidèle à la tradition de la tragédie classique.
- Monologue avec questions rhétoriques, montrant des émotions fortes visant à émouvoir. le public, fonction d’annonce du dénouement ainsi que de rappel des événements passés au début du dernier acte : fonction cathartique et informative.
- Scène respectant la devise « plaire et instruire » du classicisme.
b) Un registre tragique prononcé.
- Les mots du tragique, le champ lexical tragique habituel : « infortunée » (vers 1203), « malheurs» (vers 1207), « hélas ! »(vers 1221), « jamais »(vers1233).
- Présence de la fatalité, et de la mort : « destinée »(vers1206), « L’espérance est morte »(vers 1225), « funeste nouvelle »(vers 1231) (pour la fatalité), « mourir »(vers 1204), « mort » (vers 1206), « mortelle » (vers 1213), « mourir »(vers 1215), « tombeau » (vers 1225 et 1227), « morte » (vers 1225) (pour la mort). Omniprésence de la mort, obsession de la mort.
- Denier élément essentiel du tragique, le dilemme exprimé de multiples fois par des parallélismes mettant en balance les deux voies offertes à Antigone : « Dois je vivre?dois je mourir ? Un amant me retient, une mère m’appelle. » (vers 1215-1216, qui posent brutalement le dilemme).
c) Un monologue pathétique.
- expression directe de la douleur : « Où ma douleur doit-elle recourir ? » (vers 1214).
- une souffrance physique évoquée : « te percer le flanc » (vers 1210), référence implicite au Christ sur la croix percé au flanc par la lance d’un soldat romain (Evangile selon Saint-Jean) montre qu’elle songe à son propre sacrifice, au suicide, « sang » (vers 1212), ici celui de ses frères.
- La souffrance morale se remarque à travers son questionnement, ses « larmes » (vers 1211), et la ponctuation expressive, qui traduit son état désespéré : répétition des points d’interrogation tout au long du passage, et points d’exclamation vers 1220, 1221 et points de suspension vers 1233. De plus, les nombreuses virgules et points virgules renforcent l’impression d’urgence dans laquelle se trouve Antigone.
(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)
II- Une héroïne proche de la folie.
(phrase d’introduction de la partie, de rappel du thème lors de la rédaction)
a) Un monologue cherchant à être convaincant.
- Un monologue structuré en trois étapes : résumé de la situation et questionnement rhétorique (vers 1203 à 1212), exposé du dilemme (vers 1213 à 1222), triomphe de l’amour (vers 1223 à 1232).
- Symétrie dans la progression du raisonnement : une dizaine de vers à chaque fois. Marque de la symétrie du classicisme, mais aussi impression d’un raisonnement progressif maîtrisé, et posé : le constat, balance des avantages et inconvénients, choix.
- Persuasion par l’émotion, et se convaincre par un raisonnement en apparence logique ; connecteurs logiques : « mais »(vers 1221), « cependant »(vers1226), « et »(vers 1226), « Et » (vers 1232). Les conjonctions de coordination « et »marquent ici la conséquence.
- Cependant, fausse logique visant à se convaincre elle-même. Recherche d’arguments pour aller vers la solution préférée : son amour.
b) Une folie apparente.
- Utilisations d’expressions hyperboliques : « Que je vois de sujets d’abandonner le jour ! »(vers 1220), « L’Espérance est morte en mon coeur »(vers 1225), « extrémité mortelle »(vers 1213), qui l’entraînent à exagérer son état, elle ne semble pas voir les éléments positifs, ni une issue.
- Parallélismes brutaux représentant son manque de lucidité : chiasme des vers 1218, parallélismes vers 1215-1216, 1221-1222 : mise en relation directe de la vie, de la mort, de son amant, de sa mère, de la raison, de l’amour alors que la raison incite à la vie, que son amant et sa mère ne sont pas sur le même plan, et que la vie et l’amour sont si puissants qu’ils lui montrent la voie. Ceci montre une incohérence des propos.
- Enfin, elle s’adresse à l’amour en le personnifiant : « tu retiens »(vers 1223), « vainqueur »(1224) « tu vis, et tu veux » (vers 1226). Elle engage même un dialogue avec l’amour dans un élan de folie : « Oui » (vers 1223), comme une réponse, « Je reconnais la voix »(vers 1224), « Tu dis »(vers 1227), elle entend donc des voix. Puis telle envoûtée, elle apostrophe Hémon, son amant, absent : « Hémon, vois le pouvoir que l’amour a sur moi »(vers 1230), évidemment Hémon ne peut la voir.
c) Le coup de théatre.
- Dernière et quatrième partie du monologue constituée par les deux derniers vers qui constituent la chute : vers 1233-1234.
- Vers 1233 semble apporter la conclusion finale, et appuyer le triomphe de l’amour par l’adresse directe à Hémon, entamée dans le vers 1230 : « tu ».Seulement, les points de suspension marque une incertitude, et une pause dans le discours derrière laquelle se cache l’action.
- Vers 1234 : « Mais » engage le retournement de situation, « combat » renvoie au début du monologue et au duel des deux frères, au tourment d’Antigone, enfin « funeste nouvelle »termine la scène en remettant en avant la tonalité tragique. La victoire de la vie et de l’amour est oubliée.
- Une chute annonçant la suite du dénouement, et la fatalité de la tragédie. L’incertitude et l’angoisse naissent chez le spectateur, l’auteur crée par ce coup de théâtre un suspense.
(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)
Conclusion :
Ce monologue par son classicisme dans l’écriture et la construction rappelle au spectateur l’intrigue de la pièce et son caractère tragique. L’intensité de la douleur d’Antigone, l’insistance sur la personnification de l’amour, et sur le besoin de se convaincre de l’héroïne créent une angoisse chez le spectateur, un malaise face à la montée de la folie. Le coup de théâtre final finit de désorienter, et annonce la fin de la pièce. ( réponse à l’annonce de plan de l’introduction)
A travers une scène puissante, tragique et pathétique, Racine réussit à émouvoir et informer le spectateur. Avec son retournement final, il garde l’attention en provoquant le suspense. (réponse à la problématique)
Antigone résume dans ce monologue les événements précédents et les attentes pour la suite. Si la douleur et la fatalité ont déjà frappé par la mort de sa mère, et le duel de ses frères, l’incertitude de la chute et la violence de son discours laissent penser que d’autres faits tragiques vont se produire. En effet, les morts s’accumuleront jusqu’à détruire entièrement tous les personnages principaux. (ouverture sur la suite de la pièce).
(conclusion avec réponse à l’annonce et la reprise des conclusions partielles, la réponse à la problématique, puis l’ouverture de fin).
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