Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, « Le portrait de l’antiquaire », La Peau de chagrin, Balzac, 1831.

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Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, « Le portrait de l’antiquaire », La Peau de chagrin, Balzac, 1831.

(Analyse après le texte)

Figurez-vous un petit vieillard sec et maigre, vêtu d’une robe en velours noir, serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie. Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s’appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front. La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir d’autre forme humaine qu’un visage étroit et pâle. Sans le bras décharné, qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en l’air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, ce visage aurait paru suspendu dans les airs. Une barbe grise et taillée en pointe cachait le menton de cet être bizarre, et lui donnait l’apparence de ces têtes judaïques qui servent de types aux artistes quand ils veulent représenter Moïse. Les lèvres de cet homme étaient si décolorées, si minces, qu’il fallait une attention particulière pour deviner la ligne tracée par la bouche dans son blanc visage. Son large front ridé, ses joues blêmes et creuses, la rigueur implacable de ses petits yeux verts, dénués de cils et de sourcils, pouvaient faire croire à l’inconnu que le Peseur d’or de Gérard Dow était sorti de son cadre. Une finesse d’inquisiteur, trahie par les sinuosités de ses rides et par les plis circulaires dessinés sur ses tempes, accusait une science profonde des choses de la vie. Il était impossible de tromper cet homme qui semblait avoir le don de surprendre les pensées au fond des cœurs les plus discrets. Les mœurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses se résumaient sur sa face froide, comme les productions du monde entier se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux ; vous y auriez lu la tranquillité lucide d’un Dieu qui voit tout, ou la force orgueilleuse d’un homme qui a tout vu. Un peintre aurait, avec deux expressions différentes et en deux coups de pinceau, fait de cette figure une belle image du Père Éternel ou le masque ricaneur de Méphistophélès, car il se trouvait tout ensemble une suprême puissance dans le front et de sinistres railleries sur la bouche. En broyant toutes les peines humaines sous un pouvoir immense, cet homme devait avoir tué les joies terrestres. Le moribond frémit en pressentant que ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde et où il vivait seul, sans jouissances, parce qu’il n’avait plus d’illusion ; sans douleur, parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs. Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière ; ses yeux verts, pleins de je ne sais quelle malice calme, semblaient éclairer le monde moral comme sa lampe illuminait ce cabinet mystérieux.

Tel fut le spectacle étrange qui surprit le jeune homme au moment où il ouvrit les yeux, après avoir été bercé par des pensées de mort et de fantasques images. S’il demeura comme étourdi, s’il se laissa momentanément dominer par une croyance digne d’enfants qui écoutent les contes de leurs nourrices, il faut attribuer cette erreur au voile étendu sur sa vie et sur son entendement par ses méditations, à l’agacement de ses nerfs irrités, au drame violent dont les scènes venaient de lui prodiguer les atroces délices contenues dans un morceau d’opium. Cette vision avait lieu dans Paris, sur le quai Voltaire, au dix-neuvième siècle, temps et lieux où la magie devait être impossible.

La peau de chagrin, Balzac, 1831.

Analyse, étude, commentaire linéaire, « Le portrait de l’antiquaire », La Peau de chagrin, Balzac, 1831.
(Ceci n’est pas un modèle, mais un exemple. Vos réflexions personnelles peuvent mener à d’autres pistes de lecture)

Introduction:

Balzac fut le père du réalisme en littérature française par son ambition de créer une fresque littéraire peignant la société, toute la société de son époque : « la comédie humaine ». Cet ensemble constitué de quelques quatre-vingt-dix romans portait l’ambition de l’auteur d’analyser des milliers de caractères humains à travers des milliers de personnages. (Amorce ou accroche)

La Peau de chagrin est une œuvre publiée en 1831 qui s’inscrit dans ce projet. Elle porte à réfléchir sur la passion et la destruction, sur la fuite de l’énergie vitale par la poursuite effrénée de ses désirs. Raphaël, le personnage principal, illustre ,par son comportement, son destin, l’énergie destructrice du désir. Seulement, La Peau de chagrin constitue aussi un roman à part dans la littérature balzacienne par sa tonalité fortement fantastique. Si le réalisme descriptif reste très présent, l’irruption de l’irréel détache le récit du cadre habituellement réaliste chez Balzac. Le passage étudié se situe au début du roman, dans la partie intitulée « Le Talisman ». Il s’approche de la fin de l’incipit. Raphaël, après avoir subi une perte importante d’argent au jeu, déambule dans Paris en pensant au suicide. Il entre par hasard dans la boutique de l’antiquaire qui va lui transmettre la peau de chagrin. Ici, avec lui, nous découvrons l’antiquaire à travers un portrait physique et moral du personnage. (Présentation de l’œuvre et de l’extrait)
Comment Balzac dévoile-t-il à travers ce passage la tonalité fantastique du roman? (Problématique)
Tout d’abord, nous insisteront sur la description physique de l’antiquaire, dépeint comme un spectre inquiétant. (Le premier mouvement se déroule de « Figurez-vous » à « une science profonde des choses de la vie »). Puis, nous détaillerons la double image, le double visage du personnage, son aura ambiguë, dans le deuxième mouvement du texte (de « Il était impossible de tromper » à « ce cabinet mystérieux »). Enfin, le dernier paragraphe se concentre de nouveau sur Raphaël et nous interroge sur la réalité de sa vision. (Troisième mouvement de « Tel fut le spectacle » à « la magie devait être impossible ») (Annonce des mouvements)

Premier mouvement: Un physique sépulcral. (De « Figurez-vous » à « des choses de la vie »)

– Adresse au lecteur: « Figurez-vous » qui participe à rendre plus vivant, plus proche la description, le portrait qui suit.
– Balzac débute un long portrait physique qui semble presque une hypotypose, car il est de plus en plus précis et rend le personnage et la scène impressionnants.
– Tout d’abord, suivant le point de vue de Raphaël, il nous livre une impression générale : « un petit vieillard sec et maigre ». L’adjectif « petit » s’oppose à « gros cordon ». Dès le commencement du portrait, l’auteur introduit une dualité.
– La tenue semble négligée: « robe » (une robe de chambre), pas de ceinture « un cordon ». Seulement, les matières, les étoffes sont luxueuses: « velours », « soie ». Cet effet de contraste se poursuit par la suite avec les couleurs.
– La description dans la deuxième phrase devient plus précise: « Sur sa tête ». Nous notons la répétition de la couleur noire: « velours noir », puis « calotte en velours également noir ». Cela crée un effet de contraste avec « ses cheveux blancs ». Balzac nous dépeint le personnage en clair-obscur.
– L’adverbe « rigidement » donne une première impression de sévérité.
– L’adverbe est encore le premier mot du champ lexical de la mort, de l’apparence cadavérique de l’antiquaire avec dans la phrase suivante la comparaison « comme un vaste linceul » et la métaphore opérée par le verbe « ensevelissait ». L’antiquaire est présenté comme un mort-vivant.
– Le caractère spectrale, l’apparence de fantôme est marquée par l’expression « ne permettait de voir d’autre forme humaine » et surtout « le bras décharné qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe ». Le vieillard parait sans substance dans ses vêtements, tel un spectre: « ce visage aurait paru suspendu dans les airs ».
– De nouveau, le clair-obscur s’invite avec le visage «pâle » ou la « clarté de la lampe »qui contrastent avec la robe et la calotte noires.
– La prévision de la description augmente encore dans la phrase suivante: « Une barbe grise taillée en pointe » sans pour autant amoindrir l’aspect la déshumanisation fantastique et inquiétante du vieillard: « cet être bizarre ».
– Nous trouvons dans la suite de la phrase une première référence à la religion: « Moïse ». L’impression créée est celle d’une figure surnaturelle et imposante.
– Nous comprenons aussi que Balzac peint avec les mots son personnage « aux artistes »
– La description physique, presqu’anatomique se poursuit: « Les lèvres de cet homme ». La répétition de « si » insiste encore sur l’apparence inhumaine, cadavérique « si décolorées, si minces ».
– Balzac pointe les signes de l’âge avancé de l’antiquaire: « Son large front ridé, ses joues blêmes et creuses », mais aussi une nouvelle fois sa sévérité inquiétante « rigueur implacable ».
– En-dehors du blanc et du noir, la seule couleur présente est le vert de ses yeux « ses petits yeux verts » rendus peu rassurants et maléfiques par l’absence de cils et sourcils.
– L’auteur nous indique une nouvelle fois qu’il emprunte une technique picturale peu portrait pour nous décrire le vieillard par une comparaison avec un tableau de Gérard Dow, « le Peseur d’or ». Dow était un peintre hollandais du XVII ème siècle, élève de Rembrandt, comme lui adepte du clair-obscur, surtout considéré comme le maître de « la peinture fine », très détaillée. Son « peseur d’or » représente un vieillard au cheveux et au visage très blancs. Les ressemblances avec la description de Balzac sont donc frappantes…
– Le caractère fantastique de cette apparition est marqué par « était sorti de son cadre ». Le personnage du tableau s’est incrusté dans la réalité. Le surnaturel s’invite encore.
– La dernière phrase du mouvement effectué une transition entre l’hypotypose picturale et physique de l’antiquaire et la prochaine description de sa présence psychologique.
– Sa nature inquiétante, angoissante transparaît : « Une finesse d’inquisiteur », il est comparé à un juge religieux inflexible et dangereux.
– Balzac termine par une interprétation de détails physiques très précis « les sinuosités de ses rides », « les plis circulaires dessinés par ses tempes » tel un morphopsychologue qui déduirait de l’apparence physique le caractère profond d’une personne: « accusait une science profonde des choses de la vie. »
– Le portrait physique de l’antiquaire est de plus en plus précis. Il suit la technique de la peinture fine des peintres hollandais. Cette hypotypose crée un personnage fantastique, inquiétant, qui semble ne pas appartenir totalement au genre humain.

Deuxième mouvement: Une aura divine et démoniaque à la fois. (de « Il était impossible » à « ce cabinet mystérieux »)

– Le second mouvement emploie des hyperboles comme « Il était impossible » ou « des coeurs les plus discrets », ceci afin de bien marquer l’effroi créé par les pouvoirs surnaturels prêtés à l’antiquaire : « don de surprendre les pensées ».
– L’évocation hyperbolique de la psyché du vieillard se poursuit dans la phrase suivante: « Les mœurs de toutes les nations du globe » ou avec la comparaison « comme les productions du monde entier » insistent sur l’omniscience presque divine du personnage.
– cette comparaison divine se fait d’ailleurs explicite dans la deuxième partie de la phrase « la tranquillité lucide d’un Dieu qui voit tout ». L’inquiétude et le respect dû à la crainte provient encore de la dualité, des deux visages de l’antiquaire : « ou la force orgueilleuse d’un homme qui a tout vu ». Confusion et ambivalence entre une créature divine et humaine, tout comme auparavant entre le vivant et le cadavre.
– De nouveau, Balzac rappelle qu’il peint son personnage: « un peintre aurait ». La dualité se répète avec la répétition de « deux »: « deux expressions différentes et en deux coups de pinceaux ».
– Le parallélisme qui suit fait entièrement sortir le vieillard de l’humanité: « Père Éternel ou « Méphistophélès », la blancheur divine, le noir de l’enfer, les deux groupes nominaux « belle image » et « masque ricaneur » sont antithétiques.
– Balzac rappelle son analyse morphopsychologique avec la sagesse divine présente « dans le front » ou la possession du malin dans « de sinistres railleries sur la bouche ». C’est l’indécision qui domine dans la figure de l’antiquaire entre une « suprême puissance » bonne ou maléfique.
– Le vieillard n’appartient plus au genre humain, car il ne ressent plus rien, n’a plus d’émotions: « cet homme devait avoir tué les joies terrestres. ». Il appartient à l’enfer ou au ciel.
– L’atmosphère morbide surgit de nouveau par le rappel des pensées suicidaires de Raphaël : «Le moribond ».
– L’auteur par un nouveau parallélisme insiste encore sur l’absence de sentiments, d’émotions de l’antiquaire: « sans jouissance, parce qu’il n’avait plus d’illusion; sans douleur parce qu’il ne connaissait plus de plaisirs. »
– Le caractère effrayant de cette figure se voit à travers la réaction de Raphaël: « frémit ».
– La dernière phrase du paragraphe reprend l’apparence d’inquisiteur, de juge inflexible: « Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable ». La comparaison « comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière » attribue de nouveau un caractère divin au vieillard, celui du céleste et de l’éternité.
– La dualité, l’ambiguïté de la figure revient aussi avec « la malice calme » attribut maléfique.
– La comparaison avec la lampe « comme sa lampe illuminait » image par le contraste, par le clair-obscur cette dualité.
– Le fantastique s’observe par l’emploi des termes « vieux génie » et « mystérieux ».
– La description physique inquiétant du vieillard est complétée par celle de son aura impressionnante, pesante, effrayante qui le met en-dehors du monde des humains, entre le diable et dieu.

Troisième mouvement: Raphaël victime d’une hallucination ? ( de « Tel fut le spectacle » à « devait être impossible »)

– L’expression « spectacle étrange » suggère une scène, un théâtre, que le vieillard joue un rôle, est un acteur, finalement un personnage construit et exagéré par l’auteur.
– La répétition du caractère d’étrangeté ( après « être bizarre » et « sphère étrangère ») participe à l’ambiance irréelle.
– L’impression donnée est celle d’un songe: « où il ouvrit les yeux ». « après avoir été bercé ». Cette apparition chaotique vient d’une régression chez Raphaël évoquée par le monde de l’enfance: «  une croyance digne d’enfants qui écoutent leurs nourrices. »
– Raphaël est en situation d’infériorité par rapport à la puissante figure du vieillard comme un enfant, mais aussi parce qu’il est dans un état physique et psychologique chancelant: « étourdi », « des pensées de mort et de fantasques images. »
– L’évocation de l’hallucination, du mirage se fait plus précise: « il faut attribuer cette erreur au voile étendu sur sa vie et sur son entendement ». Sa vision est faussée par un voile, son esprit est confus, sa raison dévie.
– Une énumération nous en donne les causes: « par ses médiations, l’agacement des ses nerfs irrités, au drame violent ». Sa vision de l’antiquaire est guidée par le chaos, la confusion qui règne dans son être.
– Cette dérive, cette rêverie éveillée ressemble à la contemplation d’un tableau. « drame » fait référence à un spectacle, à une scène de théâtre. Balzac suggère que Raphaël n’observe pas la réalité, il la déforme.
– Cette vision déformée est celle d’un drogué, d’un opiomane comme le souligne l’oxymore « les atroces délices ». L’on ne sait si Raphaël a fumé de l’opium, mais Balzac et le caractère débauché de son personnage principal maintiennent l’incertitude. Ainsi, cette vision fantasmagorique du vieillard ne serait qu’un produit de l’effet de la drogue…
– D’ailleurs, la réalité revient en force: « dans Paris, sur le quai Voltaire, au dix-neuvième siècle, temps et lieux où la magie devait être impossible » comme si Raphaël reprenait ses esprits.
– Cependant, l’emploi du mot « magie » qui fait écho au portrait de l’antiquaire présenté comme un sorcier puissant, un démon maléfique et de l’imparfait « devait » introduisent le doute dans l’esprit du lecteur…

Conclusion:

La rencontre de Raphaël avec l’antiquaire donne lieu à un portrait saisissant de ce dernier. Balzac débute par une hypotypose physique qui au fur et à mesure des lignes devient de plus en plus précise et détaillée. Le personnage semble à peine humain, plus proche du spectre, d’un mort-vivant. L’inquietude suscitée par cette figure se renforce par la description de son aura morale. Son esprit semble en continuité avec son corps. Par un principe de morphopsychologie, d’alliance entre le physique et la psyché, Balzac associe l’apparence fantastique du vieillard à une aura surnaturelle, ambiguë, imposante mais indécise, engrenages le divin et le maléfique. Enfin, le dernier mouvement du texte nous interroge sur la réalité de la vision de Raphaël. Son état psychologique troublé, sa fatigue nerveuse lue mettent dans la position d’un enfant apeuré ou d’un opiomane halluciné. Le mystère qui entoure cette rencontre est-il réel ? (Reprise des conclusions des mouvements)
Balzac choisit d’introduire le principal élément fantastique du livre, l’élément perturbateur du récit, la peau de chagrin par la figure de son propriétaire, l’antiquaire. Sonia description inquiétante, angoissante, l’atmosphère d’épouvante qui l’enveloppe annonce déjà le pouvoir magique créateur et destructeur de la peau de chagrin, son caractère ambivalent à l’image de l’antiquaire. (Réponse à la problématique)
Après avoir introduit de manière Raphaël dans le Paris très réaliste des tripots, des boulevards, et des idéaux romantiques de la première moitié du XIX ème siècle, Balzac fait pénétrer le lecteur dans un fantastique profond et haut en couleurs. (Ouverture)

Une citation expliquée tirée de la peau de chagrin à lire et/ou écouter: Liens Podcasts Citation expliquée: « la possession du pouvoir, quelque immense qu’il pût être, ne donnait pas la science de s’en servir », La Peau de chagrin, Balzac, 1831. Citations célèbres expliquées: « la possession du pouvoir, quelque immense qu’il pût être, ne donnait pas la science de s’en servir », La Peau de chagrin, Balzac, 1831.

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