Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, La scène de l’aveu, « – Ah ! madame ! s’écria M. de Clèves » à « vous craignez d’en avoir pour un autre. »,  Livre III, La princesse de Clèves, Madame de La Fayette, 1678.   

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Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, La scène de l’aveu, «Ah ! madame ! s’écria M. de Clèves » à « vous craignez d’en avoir pour un autre. », Livre III, La princesse de Clèves, Madame de La Fayette, 1678.   
(Analyse après le texte)

– Ah ! madame ! s’écria M. de Clèves, votre air et vos paroles me font voir que vous avez des raisons pour souhaiter d’être seule, que je ne sais point, et je vous conjure de me les dire. Il la pressa longtemps de les lui apprendre sans pouvoir l’y obliger; et, après qu’elle se fut défendue d’une manière qui augmentait toujours la curiosité de son mari, elle demeura dans un profond silence, les yeux baissés; puis tout d’un coup prenant la parole et le regardant :
– Ne me contraignez point, lui dit-elle, de vous avouer une chose que je n’ai pas la force de vous avouer, quoique j’en aie eu plusieurs fois le dessein. Songez seulement que la prudence ne veut pas qu’une femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la cour.
– Que me faites-vous envisager, madame, s’écria M. de Clèves. je n’oserais vous le dire de peur de vous offenser.
Mme de Clèves ne répondit point; et son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu’il avait pensé :
-Vous ne me dites rien, reprit-il, et c’est me dire que je ne me trompe pas.
– Eh bien, monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à son mari; mais l’innocence de ma conduite et de mes intentions m’en donne la force. Il est vrai que j’ai des raisons de m’éloigner de la cour et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d’en laisser paraître si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour ou si j’avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d’être à vous. Je vous demande mille pardons, si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on en a jamais eu; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez.
M. de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même, et il n’avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu’il jeta les yeux sur elle, qu’il la vit à ses genoux, le visage couvert de larmes et d’une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et l’embrassant en la relevant :
– Ayez pitié de moi vous-même, madame, lui dit-il, j’en suis digne; et pardonnez si, dans les premiers moments d’une affliction aussi violente qu’est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femme au monde; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m’avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n’ont pu l’éteindre : elle dure encore; je n’ai pu vous donner de l’amour, et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre.

Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, 3e partie, 1678.

Introduction: 

En 1678 paraît un roman entouré de mystères, anonyme, et original pour l’époque par son court format : quatre tomes et quelques deux cents pages, là où les romans s’écoulaient sur plusieurs milliers de pages. Ecrit par Madame de La Fayette, une figure de la noblesse proche de Madame de Sévigné ou de La Rochefoucault, la Princesse de Clèves rencontre immédiatement le succès. Contant l’histoire tragique d’un amour impossible entre une jeune aristocrate, mariée au Prince de Clèves plus âgé qu’elle, et le duc de Nemours à la cour d’Henri II (1558-1559), l’auteur invente le genre du roman psychologique, et offre évidemment un témoignage des mœurs de son époque à la cour de Louis XIV. (accroche avec informations sur l’oeuvre)
Le fameux passage de l’aveu présenté ici se situe à la fin de la troisième partie, du livre III. S’exilant de la cour après la mort de sa mère, Madame de Clèves inquiète son mari qui vient auprès d’elle pour comprendre son attitude. Commençant à se douter d’un problème autre que le deuil de sa mère, il l’a presse de questions. Et l’aveu arrive dans la scène devant les yeux du duc de Nemours, qui n’est pas cité, mais est présent en retrait, en espion dissimulé du dialogue entre les deux époux.(présentation générale du passage)
Pourquoi peut-on comparer ce passage à une scène du théâtre classique? ( Problématique)
Le premier mouvement correspond au dialogue sans issue des deux époux qui annonce l’aveu à venir (de « Ah! madame ! s’écria M.de Clèves » à « c’est me dire que je ne me trompe pas »). Ensuite, nous assistons à un monologue de Mme de Clèves qui met plus en avant sa vertu qu’elle n’avoue ses réels sentiments (De « Eh bien, monsieur » à « aimez moi si vous pouvez »). Enfin, le texte finit sur la réaction digne et pathétique du Prince de Clèves ( de « M. de Clèves était demeuré » à « d’en avoir pour un autre »)(Annonce des mouvements, annonce de plan) 

Premier mouvement : L’accouchement de l’aveu. (Du début du texte à « c’est me dire que je ne me trompe pas »)

– Réponse expressive de M. de Clèves avec des points d’exclamation et le verbe de parole « s’écria ». « Ah! madame! », il montre sa déception et un début de colère, mais à la fois cherche à la faire réagir.
– « votre air et vos paroles me font voir que vous avez des raisons pour souhaiter d’être seule »: M. de Clèves comprend les signes envoyés par la princesse. Seulement, il n’en connaît pas les raisons.
– « que je ne sais point, et je vous conjure de me les dire »: M. de Clèves semble miner par l’incertitude, le doute dans lequel il se trouve: « conjure ».
– Suit un combat psychologique entre les deux avec M. de Clèves qui pousse à l’aveu sans avoir les outils d’un interrogateur pour l’extorquer: « Il la pressa longtemps de les lui apprendre sans pouvoir l’y obliger ». Son impuissance est double: il n’a pas les informations et ne peut les avoir rapidement ou par la violence.
– En face, Mme de Clèves résiste et fuit l’aveu: « après qu’elle se fut défendue d’une manière qui augmentait toujours la curiosité de son mari, elle demeura dans un profond silence, les yeux baissés ». Le dialogue semble difficile et argumentatif.
– La fatigue et le temps passé changent les attitudes, et Mme de Clèves avant l’aveu n’use plus d’arguments et se réfugie dans le silence.
– Sa dernière volte-face prend le miroir de la demande de M. de Clèves : « Ne me contraignez point ». Elle en appelle au caractère de gentilhomme du Prince. Puis, elle s’engage dans une prétérition, dans le fait de dire qu’elle ne parlera pas: « vous avouer une chose que je n’ai pas la force de vous avouer, quoique j’en aie eu plusieurs fois le dessein. ». La répétition du verbe « avouer » annonce le prochain aveu.
– Fidèle à elle-même, la Princesse avance son dernier argument, celui de sa vertu: « Songez seulement que la prudence ne veut pas qu’une femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la cour. ». La cour est présentée comme un lieu de débauche et de luxure.
– Seulement, le Prince n’est pas dupe et fait comprendre qu’il sait sans pouvoir l’exprimer lui-même pour éviter d’être insultant.
– Le silence de Mme de Clèves apporte paradoxalement une réponse à ses craintes : « Vous ne me dites rien….et c’est me dire que je ne me trompe pas ».
– La maïeutique, l’accouchement de l’aveu est long et fait d’une joute verbale argumentative.

Deuxième mouvement: L’aveu. (De « Eh bien, monsieur » à « aimez moi si vous pouvez »)

– Fin des résistances de la Princesse: « Eh bien, monsieur ». Elle se met en position de pénitente : « en se jetant à ses genoux ». À sa posture, on sent que l’heure est grave. Scène très théâtrale.
– Elle fait encore attendre la réalité de son aveu par une hyperbole: « je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à son mari ». Il faut imaginer ici la tension entre les deux personnages.
– Elle met une nouvelle fois en avant sa vertu: « innocence de ma conduite et de mes intentions », « éviter les périls », « nulle marque de faiblesse ». Discours construit. Elle rappelle aussi le deuil de sa mère « si j’avais encore Mme de Chartres ».
– Si elle évite la cour, c’est pour en éviter les tentations, mais elle n’exprime rien de précis.
– Son aveu à demi-mot se termine par un rappel de sa fidélité, de sa loyauté: « me conserver digne d’être à vous ». Elle en appelle à sa miséricorde en argumentant de sa vertu: « mille pardons », « ayez pitié de moi », hyperbole vertueuse « il faut avoir plus d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on en a jamais eu ».
– Sa conduite est irréprochable, mais elle ne peut lutter contre ses sentiments qu’en fuyant la cour: « si j’ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions ».
– Elle n’a pas péché, ni trahi, mais elle n’a pas d’amour pour M. de Clèves.

Troisième mouvement: La réaction digne et pathétique de M. de Clèves. (« M. de Clèves était demeuré » à la fin)

– Paragraphe qui fait œuvre de didascalie. Attitude pensive et choquée de M. de Clèves : « la tête appuyée sur les mains, hors de lui-même ». Reprise de ses esprits devant la souffrance de sa femme: « la vit à ses genoux, le visage couvert de larmes et d’une beauté si admirable, ». La douleur partagée par les deux époux n’efface pas leur respect, ni leur affection: «  il pensa mourir de douleur, et l’embrassant en la relevant : ». Comportement d’un gentilhomme exemplaire.
– Prise de parole en réponse et en miroir de M. de Clèves : « Ayez pitié de moi vous-même ». Chacun appelle l’autre à l’aide.
– « j’en suis digne; et pardonnez si, dans les premiers moments d’une affliction aussi violente qu’est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre »: le Prince se présente aussi comme vertueux. Il s’excuse comme l’a fait la princesse précédemment non pour ses sentiments, mais pour ses émotions et son manque de maîtrise, inadéquate avec sa grande noblesse. Il présente aussi son respect pour le discours morale, construit et respectueux de sa femme « procédé comme le vôtre ».
– En miroir encore aux hyperboles de Mme de Clèves, son mari en emploie une aussi pour la décrire, pour faire son éloge: « Vous me paraissez plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femme au monde ».
– Le connecteur logique d’opposition « mais » marque la vérité des sentiments du Prince : « mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été ». La scène avec toutes ces hyperboles porte un registre pathétique et tragique très puissant.
– Sa dernière phrase est en deux temps. Tout d’abord, il lui déclare sa passion: « Vous m’avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n’ont pu l’éteindre : elle dure encore ». Et l’attitude de sa femme au lieu d’abaisser son amour, le renforce. La dernière étape du passage est l’aveu tragique de son désespoir « je n’ai pu vous donner de l’amour, et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre ».
– C’est finalement le Prince qui nous livre la précision de l’aveu, sans euphémisme.

Conclusion:

Ce passage de l’aveu se décompose en trois temps. Tout d’abord, il se fait attendre car M. de Clèves ne peut forcer sa femme qui résiste en argumentant et fuyant. Dans un deuxième temps, c’est la princesse qui parle en mettant en avant sa vertu et sa fidélité, mais finalement en n’avouant pas précisément son inclination pour un autre homme. Enfin, la réaction du prince de Clèves est pleine de dignité malgré sa douleur, et finalement dévoile l’inclination de sa femme pour un autre. (Reprise des conclusions des mouvements)
Cette scène est très théâtrale. Elle est construite autour d’un début de dialogue, puis de deux monologues introduits par des didascalies. L’aveu est un thème traditionnel de la tragédie classique et est repris ici avec brio, sublime par deux personnages pathétiques dans la tragédie de leur amour impossible, mais qui restent d’une grande dignité, fidèle au classicisme. (Réponse à la problématique)
Cette scène d’aveu peut en rappeler d’autres dans le théâtre classique comme celle de l’amour interdit de Phèdre à son beau-fils Hippolyte, scène 5 de l’Acte II. (ouverture)

Et ici l’analyse linéaire de la rencontre de la Princesse de Clèves avec le duc de Nemours:  Analyse linéaire, étude linéaire la rencontre entre la princesse de Clèves et M. de Nemours, scène du bal (Première partie), de «Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer » à «mais de tout le soir, il ne put admirer que madame de Clèves », Madame de La Fayette, 1678.    

Et à lire aussi, même si je ne suis pas Baudelaire 🙂 : Je lance un appel aux forces de l’amour! Faites circuler les poésies d’amour de lescoursjulien.com ?‍❤️‍?

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