Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire Tristan et iseut : Chapitre II, Le Morholt d’Irlande, passage du Morholt, « Au jour dit, Tristan…et le sang ruisselait de ses blessures. », Tristan et Iseut, XII ème siècle

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Analyse linéaire, étude linéaire Tristan et Iseut: le passage du Morholt, Tristan et Iseut, Chapitre II: Le Morholt d’Irlande, XII ème siècle.

Le texte:

Au jour dit, Tristan se plaça sur une courtepointe de cendal vermeil, et se fit armer pour la haute aventure. Il revêtit le haubert et le heaume d’acier bruni. Les barons pleuraient de pitié sur le preux et de honte sur eux-mêmes. « Ah ! Tristan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n’ai-je, plutôt que toi, entrepris cette bataille ! Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre !… » Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent Tristan jusqu’au rivage. Ils espéraient encore, car l’espérance au cœur des hommes vit de chétive pâture.

Tristan monta seul dans une barque et cingla vers l’île Saint-Samson. Mais le Morholt avait tendu à son mât une voile de riche pourpre, et le premier il aborda dans l’île. Il attachait sa barque au rivage, quand Tristan, touchant terre à son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer.

« Vassal, que fais-tu ? dit le Morholt, et pourquoi n’as-tu pas retenu comme moi ta barque par une amarre ?

— Vassal, à quoi bon ? répondit Tristan. L’un de nous deux reviendra seul vivant d’ici : une seule barque ne lui suffit-elle pas ? »

Et tous deux, s’excitant au combat par des paroles outrageuses, s’enfoncèrent dans l’île.

Nul ne vit l’âpre bataille, mais par trois fois, il sembla que la brise de mer portait au rivage un cri furieux. Alors, en signe de deuil, les femmes battaient leurs paumes en chœur, et les compagnons du Morholt, massés à l’écart devant leurs tentes, riaient. Enfin, vers l’heure de none, on vit au loin se tendre la voile de pourpre ; la barque de l’Irlandais se détacha de l’île, et une clameur de détresse retentit : « Le Morholt ! le Morholt ! » Mais, comme la barque grandissait, soudain, au sommet d’une vague, elle montra un chevalier qui se dressait à la proue ; chacun de ses poings tendait une épée brandie : c’était Tristan. Aussitôt vingt barques volèrent à sa rencontre, et les jeunes hommes se jetaient à la nage. Le preux s’élança sur la grève, et, tandis que les mères à genoux baisaient ses chausses de fer, il cria aux compagnons du Morholt :

« Seigneurs d’Irlande, le Morholt a bien combattu. Voyez : mon épée est ébréchée, un fragment de la lame est resté enfoncé dans son crâne. Emportez ce morceau d’acier, seigneurs : c’est le tribut de la Cornouailles ! »

Alors il monta vers Tintagel. Sur son passage, les enfants délivrés agitaient à grands cris des branches vertes et de riches courtines se tendaient aux fenêtres. Mais, quand parmi les chants d’allégresse, aux bruits des cloches, des trompes et des buccines, si retentissants qu’on n’eût pas ouï Dieu tonner, Tristan parvint au château, il s’affaissa entre les bras du roi Marc : et le sang ruisselait de ses blessures.

 

Analyse linéaire passage de « Au jour dit, Tristan se plaça….et le sang ruisselait de ses blessures. », Tristan et Iseut, Chapitre II: Le Morholt d’Irlande, XII ème siècle.

(Ceci n’est pas un modèle, mais un exemple. Vos réflexions personnelles peuvent mener vers d’autres pistes d’analyse.)

Introduction:

A l’époque des romans courtois, un écrit se détache par la passion dévorante et adultérine de deux amants: Tristan et Iseut. Ce mythe d’ailleurs en inspira un autre, celui de la relation entre Guenièvre (femme d’Arthur) et Lancelot. (Accroche)

Tirée d’une légende celtique, peut-être aux alentours du IX ème siècle, le texte se fixe à l’écrit au XII ème siècle, notamment dans la version la plus complète, celle du Normand Béroul. Le récit conte les exploits guerriers de Tristan, dont les blessures ne peuvent être guéries que par Iseut. par inadvertance, alors qu’Iseut est promise à Marc (le suzerain de Tristan), ils boivent tous les deux un philtre d’amour. Commence alors une relation adultère dont la fin est tragique , puisque Tristan meurt, après avoir été une nouvelle fois blessé, croyant être abandonné par Iseut. L’extrait étudié se situe au début de l’histoire, au chapitre II. Tristan, afin de délivrer le royaume de Cornouailles du paiement d’un tribut au royaume d’Irlande, doit combattre le champion des Irlandais: l’impressionnant Morholt. (Présentation de l’oeuvre et du texte)

Comment le duel est-il mis en scène ? (Problématique)

Trois mouvements composent cet extrait. Tout d’abord, nous suivrons le départ de Tristan dans le premier paragraphe ( « Au jour dit…chétive pâture). Puis, nous nous attarderons sur le duel et son suspens (« Tristan monta seul…devant leurs tentes riaient »). Enfin, nous analyserons de quelle manière se passe le retour du héros (« Enfin, vers l’heure de none…ruisselait de ses blessures ») (Annonce de plan, des mouvements)

Premier mouvement (De « Au jour dit » à « chétive pâture »): le départ de Tristan. 

– Le premier paragraphe met en scène de manière théâtrale le départ du héros vers le duel

– Déjà, sa position unique se remarque, car il est le seul à être nommé: « Tristan », les autres personnes sont des groupes : « Les barons », « ceux de la gent menue ».

– Ensuite, sa préparation possède un caractère de cérémonie « se plaça sur une courtepointe de cendal vermeil » (c’est à dire sur une couverture de soie rouge).

– Dès le début du texte, nous remarquons le registre épique à travers l’expression « haute aventure » ou du champ lexical militaire « armer », « le haubert et le heaume d’acier », « cette bataille ».

– Nous sommes face à la figure du chevalier: brave, « preux », chrétien, « Les cloches sonnent ». Il se détache par son caractère exceptionnel des autres nobles dans le parallélisme antithétique : « Les barons pleuraient de pitié sur le preux et de honte sur eux-mêmes. »

– l’éloge hyperbolique du héros se remarque encore dans le discours direct des barons: « hardi baron, belle jeunesse », « Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre! », et dans l’énumération « vieillards, enfants et femmes ». Tristan est le héros de tous: de la noblesse et du peuple.

– Neil, le présent de vérité général de la dernière phrase « l’espérance au coeur des hommes vit de chétive pâture. » apporte un caractère solennel à la démarche de Tristan. Sa victoire serait un miracle.

– ce premier mouvement traduit le caractère héroïque de Tristan et épique de sa démarche. Il apparaît comme un chevalier extraordinaire.

Deuxième mouvement (de « Tristan, monta seul » à « devant leurs tentes riaient. »): le duel et son incertitude. 

– La première phrase du deuxième paragraphe insiste sur la nouvelle solitude du héros, qui était auparavant très entouré: « Tristan, monta seul dans une barque ». Notons une référence au personnage biblique bine connu pour sa force, Samson: « l’île de Saint-Samson ».

– La seconde phrase débute par la conjonction de coordination « Mais » afin de donner l’impression que Tristan est déjà en position défavorable : « et le premier il aborda dans l’île. ». La couleur pourpre de la voile du Morholt peut faire référence évidemment au sang, ou à un caractère royal, impérial (il est le frère du roi d’Irlande).

– La phrase suivante marque l’opposition de style entre les deux combattants puisque Tristan repousse sa barque. L’explication nous est donnée avec le passage au discours direct qui suit.

– Les deux usent du mot « vassal » pour s’interpeller, afin de bien poser la supériorité de leur royaume sur le royaume adverse. Cette répétition par Tristan montre son refus d’accepter le tribut payé au royaume d’Irlande. Il provoque encore le Morholt : « une seule barque ne suffit-elle pas ? ». cette question réthorique suppose un duel à mort.

– Le discours direct apporte de la vivacité, de l’authenticité au récit. Le lecteur a l’impression d’être un témoin de la scène.

– Puis, le combat échappe à la vision: « s’enfoncèrent dans l’ïle ». Les spectateurs : les personnes restées sur le rivage, les lecteurs, ne sont plus au courant de l’action.

– Le son reste le seule élément: « Nul ne vit l’âpre bataille, mais par trois fois, il sembla que la brise de mer portait au rivage un cri furieux. ». L’invisibilité du combat porte le suspens à son comble. Une scène vide s’offre au regard des spectateurs.

– L’antithèse suivante entre les femmes en deuil, et les partisans du Morholt joyeux évoque bien l’attente de l’issue. A noter que la pureté des femmes s’oppose à la cruauté des hommes.

– le combat n’est pas décrit. Les spectateurs du rivage restent sans information. Le duel ne concerne que les deux protagonistes.

Troisième mouvement (de « Enfin, vers l’heure de none » à « le sang ruisselait de ses blessures »): le retour du héros. 

– « l’heure de none » désigne dans la liturgie chrétienne le milieu de l’après-midi. Le combat a donc duré plusieurs heures.

– Le suspens s’étire puisque la voile du Morholt est en vue « la voile de pourpre », et la peur prend les partisans de Tristan « une clameur de détresse retentit ».

– Seulement, la conjonction de coordination « Mais » indique que l’issue fatale n’est pas celle qui se produit. Le tragique ne l’emporte pas, avec encore le registre épique qui surgit « elle montra un chevalier qui se dressait à la proue ….c’était Tristan. ». L’attente de la résolution du conflit met en perspective la victoire du héros.

– Suivent des hyperboles épiques pour montrer la vaillance et la bravoure du courageux chevalier: « vingt barques », « les jeunes hommes se jetaient à la nage », « les mères à genoux ».

– La figure héroïque est à son paroxysme quand il prend la parole pour rendre hommage à son adversaire défait « le Morholt a bien combattu. » et ensuite rappeler sa force, ainsi que l’indépendance nouvelle de la Cornouailles « Emportez ce morceau d’acier, seigneurs: c’est le tribut de la Cornouailles. »

– Le dernier paragraphe rend compte du triomphe, de la marche du héros vers le château, auréolé de sa gloire, avec l’abondance de sonorités: « à grands cris », « chants d’allégresse, aux bruits des cloches, des trompes, et des buccines si retentissants qu’on eût pas ouï Dieu tonner. ». cette énumération hyperbolique participe à la figure héroïque et épique de Tristan.

– Seulement, le passage termine sur un moment pathétqiue: « il s’affaissa entre les bras du roi Marc; et le sang ruisselait de ses blessures. ». Il avait réussi à masquer sa souffrance physique tout en ne ressentant aucune souffrance morale. Le héros est un martyre chrétien….

– La figure du chevalier Tristan est celle de David qui a vaincu Goliath, qui adulé de son peuple lui cache ses blessures presque christiques, qui reste honorable jusqu’au bout.

Conclusion: 

`Ce passage épique débute avec la préparation et le départ de Tristan pour le combat. Harnaché, plaint, adoré, il va vers une mort presque certaine. L’étape suivante, celle du combat, est elliptique. On ne sait rien du duel. Les spectateurs de la première scène sont aveugles, et n’entendent simplement que les cris des deux duellistes. Enfin, le retour du vainqueur laisse place à l’incertitude. Finalement, le héros Tristan revient. L’éloge du chevalier resplendit encore, jusqu’à son effondrement qui n’est pas vu par les spectateurs. (Reprise des conclusions des mouvements).

La figure épique et héroïque de Tristan est mise en avant de manière hyperbolique, biblique. L’originalité du texte tient en sa mise en scène théâtrale. La préparation et le retour du chevalier sont décrits minutieusement, pendant que le combat est éclipsé. Ce qui compte, c’est le héros et son comportement, et non le fracas des armes. (Réponse à la problématique)

Cet extrait rapproche Tristan et Iseut du genre de la geste, comme La Chanson de Roland. Seulement, plus tard dans l’œuvre, le passage du filtre d’amour renvoie aux sentiments, et rapproche l’œuvre du roman courtois, bien que l’amour soit adultérin.

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