Analyse linéaire, commentaire linéaire, L’Horloge, Les Fleurs du mal, Baudelaire, 1857. (Seconde édition 1861)

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Analyse linéaire, commentaire linéaire, L’Horloge, Les Fleurs du mal, Baudelaire, 1857.(seconde édition 1861)
(Analyse après le texte)

L’horloge

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi, prodigue !Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »

Charles Baudelaire

Analyse linéaire, commentaire linéaire, L’Horloge, Les Fleurs du mal, Baudelaire, 1857.(seconde édition 1861).
(Ceci n’est pas un modèle, mais un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture.)

Introduction:

Baudelaire, poète de la modernité, publie son grand recueil Les Fleurs du mal en 1857. Il expérimente en passant du romantisme, au mouvement parnassien, puis en insufflant le symbolisme. De même, il remet au goût du jour la forme oubliée du sonnet, et popularise le poème en prose (Spleen de Paris, 1869). Il mène une vie de tourments et de difficultés dont l’angoisse se retrouve dans son concept central du Spleen (humeur dépressive). (accroche avec informations sur l’auteur).
Le poème « L’Horloge » est composé de six quatrains en rimes embrassées avec des alexandrins. Il est placé à la fin de la Section « Spleen et Idéal », dans l’édition de 1861. Il porte sur un thème poétique romantique et traditionnel: la fuite du temps. Ici, elle est représentée par une horloge menaçante et inflexible, qui rythme le temps qui passe. Le poème s’inspire de celui de Théophile Gautier intitulé « L’horloge » aussi paru en 1841 dans la Revue des deux mondes.  (présentation générale du texte)
Comment ce poème participe-t-il à caractériser l’angoisse, le Spleen de Baudelaire? (problématique)
On peut détacher un premier mouvement avec les deux premières strophes qui évoquent une jeunesse déjà sous l’emprise de l’inflexibilité de l’horloge. Ensuite, les deux quatrains suivants font avancer l’âge de l’homme, et accélèrent la progression du temps. Enfin, les deux dernières strophes nous mènent vers la victoire du temps et la mort.
(annonce de plan)

Premier mouvement: Un avertissement inquiétant. (Les deux premières strophes)

– Le poème débute par une apostrophe de l’horloge, ici allégorie du temps: « Horloge! ». Le point d’exclamation crée une tonalité violente, polémique.
– Ensuite, l’horloge est divinisée avec une énumération d’adjectifs qui la blâment, qui la décrivent comme insensible, inquiétante : « dieu sinistre, effrayant, impassible, ».
– Baudelaire ici peut faire référence à Chronos, le dieu grec du temps, souvent confondu avec le titan Cronos qui mangea ses enfants (sauf Zeus).
– Le deuxième vers poursuit cette description horrifique: « Dont le doigt nous menace ». Le « nous » désigne tous les hommes, donne une portée universelle au propos.
– « et nous dit : « Souviens-toi »!. La personnification de l’horloge se double d’une prosopopée. Baudelaire fait parler l’horloge absente. L’imprécation, l’ordre semble être dit avec une voix forte, menaçante, d’une divinité sévère et sans pitié comme dans l’Ancien Testament. Le « Souviens-toi » reviendra tel un refrain dans la suite du poème.
– Les deux vers suivants liés par un enjambement se projettent vers le futur de manière pathétique: « Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi/ Se planteront bientôt comme dans une cible; ». La majuscule à Douleurs met l’attention sur ce mot. L’adjectif « vibrantes » tient à la fois aux émotions intenses que provoquent la fuite du temps, et aussi aux vibrations des aiguilles d’une horloge.
– Baudelaire désigne le lecteur avec la proximité du tutoiement « dans ton coeur ». Le coeur est une métonymie ici qui englobe l’homme en son entier. La douleur est autant physique que morale.
– La violence se ressent à travers le verbe « Se planteront ». La comparaison « comme dans une cible » fait des aiguilles de l’horloge, des secondes, des minutes, des heures des flèches tragiques, impossibles à éviter. Voilà pourquoi l’homme est « plein d’effroi », il sait déjà , dès la première strophe, cet ennemi terrible.
– Le premier adverbe de temps du poème « bientôt «  indique que Baudelaire dépeint ici la jeunesse de l’homme, pas encore véritablement conscient du temps, de la tragédie des hommes aux mains d’un dieu grec.
– Le second quatrain continue avec le futur: « Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon ». La majuscule à Plaisir lie le mot à Douleurs. Ce dernier est éphémère, sans réelle substance « vaporeux ». Sa fuite vers l’horizon le met hors de portée, d’où la douleur de ne plus pouvoir le vivre, le toucher.
– Le vers 6 est une comparaison avec la figure de la mythologie nordique, une génie de l’air élégante et belle« Ainsi qu’une sylphide ». Le terme fait aussi référence à un opéra romantique de 1832 inspiré par un conte de Charles Nodier. La danseuse ayant terminé son spectacle pour le plus plaisir des spectateurs fuit donc vers l’horizon, « au fond de la coulisse » derrière la scène.
– Le vers suivant revient au présent pour rappeler la présence omnipotente de l’horloge: « Chaque instant te dévore un morceau du délice ». La notion du plaisir fuyant est donc reprise, mais avec plus de violence. Le verbe « dévore » fait de nouveau référence à Chronos.
– « À chaque homme accordé pour toute sa saison » fait du temps un sujet personnel, particulier pour chacun d’entre nous. La répétition de « chaque » sur les deux vers insiste sur l’universalité du temps qui passe, mais aussi sur la manière spécifique de chacun de le ressentir.
– Baudelaire expose encore ici une vision limitée de la vie et de ses plaisirs : elle est courte « sa saison » (une saison au lieu des quatre), et ses bonheurs ne sont pas extensibles (délice….accordé). Au début de chacune de nos vies, une quantité de plaisirs nous est donnée, et nous ne pouvons l’augmenter, elle ne fait que réduire comme la peau de chagrin (référence à Balzac). Vision pessimiste et déterministe de Baudelaire.
– Baudelaire dans ce premier mouvement prévient les hommes que leur jeunesse est un mirage, car le temps a déjà débuté son œuvre.

Deuxième mouvement: Une accélération du temps, l’emprise du passé.(Les quatrains 3 et 4)

– Précision chiffrée du temps qui passe: « Trois mille six cents fois par heure ». Le contre-rejet et la majuscule font de « la Seconde » une synecdoque du temps (la partie pour le tout). Elle règne sur la vie de l’homme.
– L’enjambement avec le vers suivant renforce l’impression de fugacité du temps. La Seconde est personnifiée : « Chuchote », ce qui la rend effrayante. Le refrain de la première strophe revient: « Souviens-toi! ».
– Le second hémistiche insiste sur le caractère éphémère de la seconde, donc du temps :  « -Rapide avec sa voix ». C’est le tic-tac incessant de l’aiguille qui s’entend. Le rejet « D’insecte » au vers 11 met en avant le mot pour provoquer un malaise, du dégoût.
– Le second adverbe de temps du poème « Maintenant » fait écho au « bientôt » de la première strophe. Le temps prédit est arrivé. Il crée aussi une antithèse avec « Autrefois » à la fin du vers.
– La seconde est tout à la fois: « Autrefois », « Maintenant », tellement elle passe vite.
– « Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde! », le vers est de nouveau très violent. Le verbe pompé et « trompé immonde » file la métaphore de l’insecte. Avec sa petite aiguille, la seconde prend le temps de l’homme. Passé, il ne peut simplement que se rendre compte qu’il ne l’a pas assez utilisé. Le temps, la seconde est ici un parasite.
– Le premier vers de la strophe suivante est scandée par les points d’exclamation, et les trois langues: anglais, français et latin. Cette diversité signifie que le temps est universel. Il n’a pas de frontière. Encore dans ce mouvement, c’est le passé, ou plutôt sa nostalgie qui est mis en avant. L’adjectif « prodigue » met en exergue la dépense du temps sans en avoir fait quelque chose d’utile.
– « (Mon gosier de métal parle toutes les langues) ». Les parenthèses donnent l’impression d’une proposition incise, d’une information donnée en aparté par la Seconde, par l’horloge évoquée par une métonymie (la matière du métal). La voix est devenue froide, glaçante.
– Des secondes, nous passons aux minutes: « Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues ». Le temps s’étire. Le nom mortel rappelle la condition tragique de l’homme, et l’adjectif « folâtre », sa propension à la légèreté, à la superficialité.
– Le mot « gangues », une enveloppe qui enferme quelque chose de précieux, est une métaphore des minutes.
– En effet, le dernier vers du quatrain « Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or! » indique que chaque minute, que chaque gangue, est un trésor, de l’or. La sentence de l’horloge expose les regrets de l’homme qui n’a pas assez construit ou profité du temps qui lui était imparti.

Troisième mouvement: La victoire du Temps et l’inéluctabilité de la mort. (Les deux dernières strophes)

– La cinquième strophe s’ouvre sur le refrain « Souviens-toi ». C’est la première fois qu’il débute un vers. Le souvenir devient de plus en plus intense. La parole, ici, n’est plus celle du temps, mais du poète qui met le lecteur en garde.
– « que le Temps est un joueur avide »: la personnification du temps se lit avec la majuscule et la comparaison avec un joueur. L’adjectif « avide » montre qu’il est obsédé par le gain.
– « Qui gagne sans tricher, à tout coup! C’est la loi. » Ce vers affirme une vérité générale en trois étapes. Le jeu lui est promis, car il l’emporte dans tous les cas. C’est le tragique de la condition humaine. Quoiqu’il tente l’homme ne peut que perdre. Cette loi est universelle, et intemporelle. C’est une vérité au sens philosophique. L’expression « à tout coup » rappelle évidemment les coups de l’horloge, les heures qui sonnent et qui passent.
– Le troisième vers de la strophe: « Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi! » réduit la vie à une seule journée. C’est marquer courte durée par rapport à l’éternité du temps. Le jour se réfère aux premières strophes, la nuit symbolise la vieillesse et la mort qui approche. C’est aussi l’âge des souvenirs, de la mémoire, d’où la nouvelle répétition de « souviens-toi! ».
– Enfin le vers 20 par un parallélisme met en perspective l’inexorabilité de la fuite du temps: « Le gouffre à toujours soif; la clepsydre se vide ». On se serait attendu à la clepsydre en première position, puisque l’eau de la clepsydre (sablier hydraulique) s’écoule dans le gouffre qui a soif. Le gouffre est le temps qui jamais ne peut se remplir, qui a soif de la vie de l’homme. Le gouffre fait aussi référence à la mort.
– Le dernier quatrain commence par un euphémisme : « Tantôt sonnera l’heure », c’est à dire la mort. Puis une énumération rythmée par l’anaphore en « où » se lance: « où le divin Hasard, ». La majuscule à Hasard accolé à l’adjectif divin expose l’impuissance de l’homme, soumis aux lois de Dieu qu’il ne peut ni comprendre, ni combattre.
– L’horloge est média de la volonté divine à travers l’heure qui sonne. Le vers 22 « Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge, » revient sur la difficulté, notamment pour Baudelaire, de s’astreindre à une discipline de vie, de s’y tenir. La majuscule à Vertu, l’adjectif « auguste » la métaphore en épouse vierge ces ont les éléments d’un éloge, montre à la fois son importance, mais aussi le regret qu’il a de n’avoir su vivre selon elle. Ici, s’introduit aussi l’idée du péché faisant écho à la vie folâtre, et au fait de ne pas assez profiter du temps.
– « Où le Repentir même (oh! la dernière auberge!) ». Le péché, la vertu absente de la vie mène au repentir, à la confession. La référence est religieuse. Baudelaire évoque l’ultime onction avant la mort. Ce rapprochement avec Dieu constitue le dernier refuge de l’homme, son dernier moment de soulagement avant le trépas « la dernière auberge! ».
– « Où tout te dira: Meurs, vieux lâche! il est trop tard! ». Le tout englobe l’horloge, le hasard, Dieu, la vertu, le repentir… Les points d’exclamation insistent sur le caractère tragique et pathétique de la fin, qui est inexorable et douloureuse.
– la sentence tombe: la peine de mort : « Meurs ». La raison est la lâcheté : « vieux lâche! »
– L’horloge, le temps a le dernier mot : « il est trop tard! ». Il est trop tard pour rattraper le temps des plaisirs des deux premières strophes. Il est trop tard pour construire et ne pas folâtrer pour éviter les regrets. Il est trop tard pour le pardon des errements.
– Le Temps gagne, le Spleen aussi.

Conclusion: 

Le poème progresse en trois temps avec une jeunesse, époque du plaisir insouciant, mais pendant laquelle la fuite du temps est déjà présente et surtout déjà menaçante. Puis, la vie s’écoulant, l’âge d’homme pendant lequel le temps s’accélère et le souvenir commence à devenir très présent. La pression de la vie augmente la valeur de chaque minute. Enfin, la vieillesse et l’approche de la mort paraissent de plus en plus inexorables, et obligent à peser sa vie, ses actes avant de disparaître. (Reprise des conclusions des mouvements)
Tout le poème rappelle cependant avec la régularité d’une horloge la fuite obsédante du temps. S’il est question de quelques plaisirs au début, les registres pathétique et tragique sont omniprésents. La figure inquiétante de l’horloge revient toujours avec les secondes, les minutes et sa parole prophétique « Souviens-toi ». La fuite du temps est un Spleen incessant qui empêche de vivre le présent. (Réponse à la problématique)
Si l’originalité du poème de Baudelaire tient dans la figure de l’Horloge, la violence du ton, et l’exhortation à l’homme de ne pas perdre son temps, le thème de la fuite du temps est central dans la poésie romantique certes, mais dans la tradition poétique comme le montre le sonnet de Ronsard « Quand vous serez bien vieille ». (Ouverture)

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