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Paul et Virginie, passage de la « mort de Virginie », Bernardin de Saint- Pierre, 1788.
Dans les balancements du vaisseau, ce qu’on craignait arriva. Les câbles de son avant rompirent, et comme il n’était plus retenu que par une seule aussière il fut jeté sur les rochers à une demi-encablure du rivage. Ce ne fut qu’un cri de douleur parmi nous. Paul allait s’élancer à la mer lorsque je le saisis par le bras : “ Mon fils, lui dis-je, voulez-vous périr ? – Que j’aille à son secours, s’écria-t-il, ou que je meure ! ” Comme le désespoir lui ôtait la raison, pour prévenir sa perte ; Domingue et moi lui attachâmes à la ceinture une longue corde dont nous saisîmes l’une des extrémités. Paul alors s’avança vers le Saint-Géran, tantôt nageant, tantôt marchant sur les récifs. Quelquefois, il avait l’espoir de l’aborder car la mer dans ses mouvements irréguliers, laissait le vaisseau presque à sec, de manière qu’on en eût pu faire le tour à pied ; mais bientôt après, revenant sur ses pas avec une nouvelle furie, elle le couvrait d’énormes voûtes d’eau qui soulevaient tout l’avant de sa carène, et rejetaient bien loin sur le rivage le malheureux Paul, les jambes en sang, la poitrine meurtrie, et à demi noyé. À peine ce jeune homme avait-il repris l’usage de ses sens qu’il se relevait et retournait avec une nouvelle ardeur vers le vaisseau, que la mer cependant entrouvrait par d’horribles secousses. Tout l’équipage, désespérant alors de son salut, se précipitait en foule à la mer sur des vergues, des planches, des cages à poules, des tables, et des tonneaux. On vit alors un objet digne d’une éternelle pitié : une jeune demoiselle parut dans la galerie de la poupe du Saint-Géran, tendant les bras vers celui qui faisait tant d’efforts pour la joindre. C’était Virginie. Elle avait reconnu son amant à son intrépidité. La vue de cette aimable personne, exposée à un si terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir pour Virginie, d’un port noble et assuré, elle nous faisait signe de la main, comme nous disant un éternel adieu.Tous les matelots s’étaient jetés à la mer Il n’en restait plus qu’un sur le pont, qui était tout nu et nerveux comme Hercule. Il s’approcha de Virginie avec respect : nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s’efforcer même de lui ôter ses habits ; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue. On entendit aussitôt ces cris redoublés des spectateurs : “ Sauvez la, sauvez la ; ne la quittez pas ! ” Mais dans ce moment une montagne d’eau d’une effroyable grandeur s’engouffra entre l’île d’Ambre et la côte, et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants. À cette terrible vue le matelot s’élança seul à la mer ; et Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l’autre sur son coeur et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les cieux.
ô jour affreux ! hélas ! tout fut englouti. La lame jeta bien avant dans les terres une partie des spectateurs qu’un mouvement d’humanité avait portés à s’avancer vers Virginie, ainsi que le matelot qui l’avait voulu sauver à la nage. Cet homme, échappé à une mort presque certaine, s’agenouilla sur le sable, en disant : “ ô mon Dieu ! Vous m’avez sauvé la vie : mais je l’aurais donnée de bon coeur pour cette digne demoiselle qui n’a jamais voulu se déshabiller comme moi. ” Domingue et moi nous retirâmes des flots le malheureux Paul sans connaissance, rendant le sang par la bouche et par les oreilles.
Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion du passage de « la mort de Virginie », Paul et Virginie, Bernardin de Saint-Pierre, 1788.
(Ceci n’est évidemment pas un modèle, mais un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de réflexion).
Introduction :
L’oeuvre de Bernardin de Saint-Pierre est marquée par sa croyance dans une utopie proche de la nature. Voyageur, il passe notamment deux années sur l’île de France (île Maurice), et écrit à son retour un livre de voyage (Voyage à l’île de France », 1773). Influencé très jeune par la lecture de Robinson Crusoë (Defoe, 1719), puis par son contemporain Rousseau, il croit à la bonté de l’homme à l’état de nature. En 1784, il débute son principal ouvrage Les études de la nature, dont Paul et Virginie constitue le dernier volume. Précurseur du romantisme, il présente dans ce court roman l’amitié de deux enfants qui se transforme en amour sur l’île Maurice, pour ensuite être contrarié par le retour des conventions européennes et l’obligation pour Virginie de retourner en France. (accroche avec information sur l’auteur et l’oeuvre)
Le passage étudié se situe à la fin du roman. Virginie revient d’Europe et s’apprête à retrouver Paul, resté dans l’Océan Indien. Cependant, une tempête se déchaîne et fracasse le bateau contre des récifs. Virgine meurt alors dans ce naufrage, proche de la côte, où Paul et d’autres proches l’attendaient. (présentation du passage).
En quoi cet épisode tragique annonce-t-il le romantisme à venir ? (problématique)
Tout d’abord, nous ferons apparaître la mise en scène théâtrale de la mort de Virginie, avant d’analyser les figures héroïques des deux personnages éponymes. (annonce de plan)
(introduction en quatre parties : accroche, présentation du texte, problématique, annonce de plan).
I- Une scène pathétique et tragique.
(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)
a) Une scène théâtrale.
- mise en place d’un décor impressionnant : la mer, le bateau.
- Tempête qui peut être une référence à la pièce de Shakespeare (1611)
- action durant tout le passage : « Paul alors s’avança vers le Saint-Géran, tantôt nageant, tantôt marchant sur les récifs ».
- représentation théâtrale marquée par différents éléments : la plage comme une salle : répétition du mot « spectateurs », deux acteurs principaux mis en avant avec Paul et Virginie, et la narrateur, comme témoin, paraît être le metteur en scène.
b) Un registre pathétique prononcé.
- deux passages qui montrent la souffrance physiques de Paul : accumulation « les jambes en sang, la poitrine meurtrie et à demi noyé », bilan physique fin du texte « rendant le sang par la bouche et par les oreilles ».
- une souffrance morale partagée par tous : Paul « Comme le désespoir lui ôtait la raison », les spectateurs « un cri de douleur », « de douleur et de désespoir », le narrateur « O jour affreux ! »(ponctuation expressive).
- Scène horrible entraînant des souffrances physiques pour l’acteur (Paul) qui agit, les spectateurs qui compatissent (représentant des spectateurs dans une salle de théâtre pris dans l’action se déroulant sur scène), et le narrateur qui raconte (figure du metteur en scène).
c) Une tragédie.
- dilemme posé au début du passage : « Que j’aille à son secours ou que je meure ! », perdre sa bien-aimée, ou lui-même.
- Champ lexical du tragique à travers le passage : « éternelle pitié », « éternel adieu », « mort inévitable », « hélas ! », « mort ». Présence de la mort et de la fatalité.
- Fin tragique avec finalement la mort de Virginie : « tout fut englouti ».
- Enfin, fatalité de ce destin, car l’homme est ici le jouet des forces de la nature, de forces qui le dépassent par leur puissance : « une nouvelle furie », « une nouvelle ardeur », d’horribles secousses ». Le sauvetage paraît donc impossible. Personnification de la mer « montagne d’eau d’une effroyable grandeur …et s’avança en rugissant vers le vaisseau, qu’elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants ». impression d’un monstre des enfers.
(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction).
II- Les figures héroïques de Paul et Virginie.
(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)
a) Paul.
- première partie du texte centrée sur lui.
- Qualités héroïques : courage, force physique (« tantôt nageant, tantôt marchant »), volonté, jeunesse (« jeune homme »). Il n’abandonne pas « intrépidité », mais ne peut plus lutter « Paul sans connaissance ».
- Personnage bien entouré, et aidé par des personnages secondaires bienveillants « Domingue et moi lui attachâmes à la ceinture une longue corde ».
- Comportement unique, différent des autres personnages. Il est le seul à vouloir rejoindre le bateau, l’équipage le quitte « Tout l’équipage …se pécipitait en foule à la mer », même le dernier matelot laisse Virginie seule « A cette terrible vue, le matelot s’élança à la mer ». Aucun des spectateurs de la plage ne s’aventurent non plus dans les flots.
- Seul lui pouvait donc sauver Virginie grâce à ses qualités héroïques.
b) Virginie, le modèle de la femme vertueuse.
- qualités héroïques différentes de Paul, mise en avant de sa vertu restant intacte jusqu’à la fin : garde ses habits. Elle garde donc sa pureté.
- Elle préfère la mort à la perte de dignité, et garde une attitude parfaite devant le destin inéluctable : « port noble et assuré », conserve sa foi intacte « et levant en haut des yeux sereins »(regarde donc vers Dieu). La répétition de « demoiselle » marque encore cet idéal de pureté qu’elle représente.
- Sa présence seule apporte cette dignité, elle n’a pas besoin de paroles (elle ne s’exprime pas une seule fois durant le passage). Elle n’exprime pas sa souffrance, et conserve donc encore toute sa dignité, et montre ainsi son courage devant la mort.
- Enfin, son attitude est admirée par tous, elle s’impose comme un modèle : « objet digne d’une éternelle pitié », « s’approcha de Virginie avec respect », prière des spectateurs « Sauvez-la, sauvez-la ».
c) Divinisation de Virginie.
- Apparition telle une épiphanie « On vit alors.. », le « On » indéfini donne un aspect universel à cette apparition. Figure christique, renforcée par sa sérénité devant la mort, et par l’attitude du dernier matelot « se jeter à ses genoux », comme un croyant en train de prier.
- Elle est comparée à un ange « parut un ange qui prend son vol vers les cieux », dont la destination est évidemment le paradis.
- Figure de la martyre qui se sacrifie pour sauver les autres. Elle ne pense pas à son sort, mais d’abord à ceux qui l’entourent : « tendant les bras vers celui », « elle nous faisait signe de la main ». Elle ne retient pas le dernier matelot et par son attitude l’invite à quitter le navire pour se sauver.
- Elle est la seule personne à mourir dans le passage, sous-entendant que sa dignité a sauvé le reste de l’équipage.
(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction).
Conclusion :
La mort de Virginie possède les caractéristiques d’une mise en scène théâtrale. L’auteur concentre son propos sur l’action de ses deux personnages principaux, Paul et Virginie. La tempête constitue le décor grandiose de cette tragédie, la plage, la salle de spectacle dans laquelle les spectateurs assistent impuissants, mais bouleversés à la mort de l’héroïne. Le narrateur, le vieillard prend alors la place d’un metteur en scène qui transmet aux lecteurs le pathétique et le tragique de cet épisode. Les deux figures héroïques du récit possèdent d’ailleurs toutes les caractéristiques des tragédies classiques : courage, vertu, et piété. Virginie constitue l’idéal féminin de la dignité, même devant la mort. (reprise des conclusions partielles, et réponse à l’annonce de plan).
La solitude des héros, leur amour jusqu’à la mort, la référence christique soutenue dans le texte, ainsi que le traitement hyperbolique des émotions annoncent le romantisme. Eloigné de la réalité, centré sur l’exaltation des sentiments, ce texte évoque aussi le désespoir d’une vie faite de souffrances, comme le romantisme triomphant du XIXème siècle. (réponse à la problématique)
La fin tragique de l’oeuvre se poursuit puisque Paul meurt de chagrin, inconsolable de la perte de son amour. Ainsi, les deux amants sont réunis dans la mort. Si aujourd’hui, l’exagération dramatique de ce roman lui prodigue un caractère un peu suranné, il aborde aussi les inégalités sociales de la société de l’Ancien Régime à travers les obstacles rencontrés par les deux amoureux issus de classes sociales différentes (Virginie est noble contrairement à Paul), et la cruelle réalité de l’esclavage. (ouverture).
(conclusion en trois parties : réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, ouverture)
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