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Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, L’homme et la mer, Les Fleurs du mal, Baudelaire, 1857.
(Analyse après le texte)
L’homme et la mer.
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire
Analyse linéaire, étude linéaire, commentaire linéaire, L’homme et la mer, Les Fleurs du mal, Baudelaire, 1857.
(Ceci n’est pas un modèle, mais un exemple. Votre réflexion peut mener à d’autres pistes de lecture.)
Introduction:
Baudelaire, poète de la modernité, publie son grand recueil Les Fleurs du mal en 1857. Il expérimente en passant du romantisme, au mouvement parnassien, puis en insufflant le symbolisme. De même, il remet au goût du jour la forme oubliée du sonnet, et popularise le poème en prose (Spleen de Paris, 1869). Il mène une vie de tourments et de difficultés dont l’angoisse se retrouve dans son concept central du Spleen (humeur dépressive). (accroche avec informations sur l’auteur).
Le poème « L’homme et la mer » se situe dans la section « Spleen et Idéal » du recueil Les Fleurs du mal. Il est en quatorzième position. Le thème maritime revient souvent chez Baudelaire, comme un écho à son voyage de jeunesse arrêté en bas de l’Afrique. Ici, il décrit les liens qui unissent la mer et l’homme « libre », l’artiste dans un poème constitué de quatre quatrains en alexandrins avec des rimes embrassées. (Présentation générale du texte).
Quelle regard porte le poète sur la vie de l’homme en le faisant correspondre avec la mer? (Problématique)
Le texte peut se décomposer en trois mouvements. Tout d’abord, dans les deux premiers quatrains, Baudelaire nous décrit une proximité sensorielle et émotionnelle entre la mer et l’homme. Le deuxième mouvement composé du troisième quatrain dépeint deux caractères semblables. Enfin, la chute de la dénièrent strophe opère un renversement de situation en transformant le rapport symbiotique en rapport conflictuel.(Annonce de plan, annonce des mouvements)
Premier mouvement: La correspondance entre la mer et l’homme. (Les deux premières strophes)
– Le premier vers débute le poème avec vigueur: « Homme libre, toujours tu chériras la mer! ». L’apostrophe et le point d’exclamation confèrent un caractère solennel à ce vers.
– « Toujours » et l’emploi du futur « chériras » insistent sur la vérité universelle, éternelle énoncée par Baudelaire. L’homme libre est l’artiste, le poète qui peut s’affranchir des règles et normes de la société. C’est pourquoi il le tutoie, il en est proche, c’est lui-même.
– La correspondance entre la mer et l’homme, présente dans le rapprochement du titre, se dévoile dès le deuxième vers: « La mer est ton miroir; tu contemples ton âme ». Nous avons une correspondance entre le concret et l’abstrait, entre le reflet réel de la mer, et sa profondeur qui incite à la spiritualité, à l’âme.
– L’attitude de l’homme est narcissique puisqu’il se regarde lui-même avec complaisance: « tu contemples ». Le poète étant un être supérieur d’après Baudelaire, son âme l’est aussi.
– L’enjambement avec le troisième vers continue la phrase: « Dans le déroulement infini de sa lame ». Cette métaphore évoque la houle ou la marée, le mouvement perpétuel de la mer. Cette cadence répétée et ininterrompue est bien marquée par l’adjectif « infini » ainsi que la sonorité étirée à la fois dure et liquide du mot « déroulement ». On sent presque les vagues.
– La lame dont il est question est la lame de fond, le courant profond, qui correspond à la profondeur de l’âme. Tout comme l’âme de l’homme, la mer est traversée par un mouvement des profondeurs.
– Le dernier vers affirme cette idée: « Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. ». La litote rend compte de la correspondance entre l’infinie profondeur de l’âme et des fonds marins. La rime « amer » d’ailleurs constitue une contraction de âme et mer, et mêle les deux.
– Le second quatrain poursuit l’entremêlement entre l’homme et la mer: « Tu te plais à plonger au sein de ton image, ». Le narcissisme rappelle celui du vers 2. L’allitération en « p » image de manière sonore le bruit de la pénétration dans la mer.
– Anaphore avec le « Tu » au vers 6. « Embrasses » se comprend comme le jeu du regard qui se pose sur la mer dans son immensité, mais aussi comme l’acte impossible de l’étreindre, puisqu’il est dedans et que les éléments corporels suivants comprennent les bras: « des yeux et des bras, et ton cœur ».
– Ce vers établit une correspondance entre les sensations (vision, toucher) et l’émotion « coeur ». La mer est personnifiée presqu’en maîtresse qu’on regarde, qu’on embrasse, qui possède un « sein »(vers précédent).
– Le contre-rejet qui place « coeur » à la fin du vers fait comprendre l’hypallage (procédé consistant à ce qu’un mot se rapporte à une phrase, un vers ou un élément, alors qu’on l’attendrait autre part) du vers 7: « Se distrait quelquefois de sa propre rumeur ». En effet, la rumeur est le son des vagues, et non celui du coeur, et appartient en fait au vers suivant. La métaphore est celle de la souffrance morale, sentimentale.
– Ce vers 8 est profondément pathétique et rappelle le Spleen du vers 4: « Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage ». La personnification de la mer se poursuit. La correspondance entre la plainte murmurée par les vagues et le coeur souffrant du poète s’inscrit dans ces deux derniers vers. Ils sont complices et proches dans le Spleen.
Deuxième mouvement: Un caractère semblable. (Troisième strophe).
– Passage du « Tu » au « Vous ». Baudelaire ne s’adresse plus à l’homme libre seulement. La symbiose entre lui et la mer est achevée, et il constitue deux entités liées, inséparables.
– Leur ressemblance est répétée avec « tous les deux ». Leur correspondance se remarque encore avec les adjectifs « ténébreux et discrets », l’apparence rejoint le caractère. Les deux points annoncent une explication à cette affirmation.
– Le vers 10 expose avec une nouvelle hypallage le mystère de l’homme: « Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ». Le champ lexical employé s’appliquerait plus à la mer. De nouveau, la profondeur de l’âme est mise en avant avec douleur (« abimes »).
-Le vers 11 emploie le même procédé, l’hypallage, pour traduire le mystère de la mer: « Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes, ». La mer personnifiée possède une intimité humaine… L’emploi du même procédé littéraire participe encore à les rapprocher.
– Le dernier vers de la strophe possède un ton hyperbolique avec l’adverbe « Tant », et le point d’exclamation finale. La discrétion n’est pas montrée comme une qualité : « vous êtes jaloux de garder vos secrets! ».
– Les deux se ressemblent, mais ne peuvent finalement pas entièrement communiquer. Le mauvais sentiment de la jalousie annonce la quatrième strophe.
Trosième mouvement: La jalousie qui mène au conflit. (Dernière strophe).
– L’adverbe d’opposition « cependant » entame un basculement, un revirement dans le poème. Le présentatif « voilà » nous informe que Baudelaire va délivrer une vérité fondamentale, intemporelle avec l’hyperbole « des siècles innombrables ».
– L’enjambement avec le vers suivant accélère le propos. La chute du poème, qui montre l’homme et la mer comme antagoniste débute ici: « Que vous combattez sans pitié ni remord, ». Après la ressemblance, la symbiose entre les deux vient le conflit séculaire et violent puisqu’il est total.
– La vérité générale énoncée peut se comprendre comme l’exploitation de la mer par l’homme pour y vivre ou manger, et la dureté de celle-ci avec ses tempêtes et ses naufrages.
– La strophe rend compte de cette dureté, de ce combat aussi par les allitérations en « t » et en « r »: combattez, pitié, tellement, ou innombrables, remord, carnage, mort, et lutteurs et éternels pour les deux consonnes.
– L’hyperbole de l’avant-dernier vers avec l’adverbe d’intensité « Tellement » dépeint un champ de bataille cauchemardesque, apocalyptique: « le carnage et la mort, ». Il n’est plus question des embrassades, des plongeons, des contemplations des deux premières strophes.
– Le dernier vers est construit sur un parallélisme et une dernière hypallage : « Ô lutteurs éternels, ô frères implacables! ». (Logiquement éternels pour frères et implacables pour lutteurs).
– Le combat n’est donc pas prêt de s’arrêter. La comparaison finale fait de la mer et de l’homme des frères, mais qui bien que très semblables (comme écrit dans le reste du poème), par jalousie vont se combattre. Ici, la référence biblique à Abel et Caïn paraît claire.
– L’irruption du Spleen se guettait en fait dans chaque dernier vers des trois premières strophes: « gouffre moins amer », « plainte indomptable », « jaloux ». Ce Spleen est celui de l’homme, du poète, de lui-même.
Conclusion:
Le poème est construit au départ sur le jeu de miroir entre l’homme et la mer. L’homme se voit à sa surface, et de plus en plus se reconnaît en elle. De son apparence, il passe à la contemplation de la profondeur de son âme. Puis dans un second temps, il comprend son caractère parce que celui de la mer est semblable. Seulement, cette entente entre lui et la mer ne dure pas, et se termine dans un combat violent. (Reprise des conclusions des mouvements)
Le rapport de l’homme à la mer dans tout le poème s’est en fait une longue métaphore du rapport de l’homme à lui-même ou à ses proches. Si se regarder soi-même ou ses proches nous montre des similitudes avec ce qu’on ressent, ce qu’on pense de nous-mêmes ou des autres, c’est aussi le chemin vers le conflit intérieur ou avec l’autre. (Réponse à la problématique).
Ce poème porte en lui un Spleen profond, celui des tourments qui ne peuvent que jaillir, celui de l’impossibilité pour l’homme libre, le poète de vivre sereinement avec soi-même ou avec les autres. La violence de la dernière peut se rapprocher de la victoire du Spleen dans le poème « Spleen, Quand le ciel bas et lourd… » LXXVIII. (ouverture)
Pour l’analyse de Spleen LXXVIII « Quand le ciel bas et lourd… », c’est ici: Quand le ciel bas et lourd, Spleen LXXVIII, commentaire, Analyse, Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1857
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