Spleen, LXXVI, « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans », les Fleurs du Mal (1857), Baudelaire — Commentaire, analyse.

Spleen LXXVI (76), Fleurs du mal, Baudelaire, 1857.

LXXVI – Spleen

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombrés de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
– Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.

Rien n’égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne incuriosité
Prend les proportions de l’immortalité.
– Désormais tu n’es plus, ô matière vivante!
Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.

 

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion de Spleen LXXVI (76),Fleurs du mal, Baudelaire, 1857.

(Ceci est un exemple, et non un modèle. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture.)

Introduction :

Baudelaire, poète de la modernité, publie son grand recueil Les Fleurs du mal en 1857. Il expérimente en passant du romantisme, au mouvement parnassien, puis en insufflant le symbolisme. De même, il remet au goût du jour la forme oubliée du sonnet, et popularise le poème en prose (Spleen de Paris, 1869). Il mène une vie de tourments et de difficultés dont l’angoisse se retrouve dans son concept central du Spleen (humeur dépressive). (accroche avec informations sur l’auteur).

D’ailleurs ce poème est un des quatre qui porte le titre de Spleen. Définition donc de cet ennui dévastateur sur l’esprit de Baudelaire, elle nous permet à travers un texte fortement lyrique de comprendre son état d’âme. Composé de trois strophes inégales, il nous immerge dans la vie et l’esprit de l’auteur. (présentation du texte).

Comment Baudelaire transmet-il son mal de vivre au lecteur ? (problématique)

Dans un premier temps, nous mettrons en avant la dimension personnelle puissante du poème, avant de détailler les éléments qui définissent le Spleen de du poète maudit. (annonce de plan).

(introduction en quatre parties avec accroche, présentation du texte, problématique, annonce de plan).

I- Une complainte lyrique et pathétique.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction).

a) Un lyrisme prononcé.

  • dès le premier vers présence de la première personne du singulier : répétition « J’ai…, j’avais.. ».
  • lyrisme appuyé dans les deux premières strophes : « mon »(v.5), « Je »(V.8), « mes »(v.10), « Je »(v.11).
  • Puis disparition de la première personne du singulier dans la troisième strophe, mais l’interlocuteur de l’auteur est lui-même « tu n’es plus, ô matière vivante! ». (la matière vivante est sa propre personne).
  • Expression de ses émotions, et d’expériences vécues, prises de parole du poète : « – Je »(v.8), « Désormais, tu n’es plus… »(v.19).

b) Un bilan de vie.

  • « bilans » (v.2), double sens du mot. Moment charnière de sa vie où il effectue un constat sur les années passées. En même temps, « bilans » évoque ses problèmes financiers.
  • Vers 2,3,4 : énumération des éléments de son passif, constitutifs de son bilan : financier « bilans », « quittances », judiciaire « procès », sentimental « billets doux », « romances » (aussi « les lourds cheveux enroulés » qui font référence à Jeanne Duval cf XXIII, « la chevelure », spleen et idéal) et enfin « De vers » pour son activité poétique, mise en avant par sa position.
  • Seulement, cette réalité concrète « Un gros meuble à tiroirs » (métaphore courante pour la mémoire) est comparée à un passé, une mémoire au bilan encore plus encombrant, malgré l’énumération : « moins de secrets »(v.5), « sur mes morts les plus chers »(v.10) proches disparus. Bilan=éléments tangibles + passé de l’auteur.

c) une complainte pathétique.

  • le passé apparaît ici comme étant douloureux : « mon triste cerveau »(v.5), difficile à porter « encombré »(v.2), « lourds »(v.4), « neigeuses années »(v.16) impression d’un passé trouble.
  • Insistance sur cette pesanteur avec la métaphore mortuaire : « C’est une pyramide, un immense caveau », termes hyperboliques accentués par la comparaison du vers suivant « Qui contient plus de morts que la fosse commune ». Montre la douleur pour Baudelaire à vivre avec ce passé, qui prend beaucoup de place.
  • Il se sent âgé, « si j’avais mille ans », (v.1) « Je suis un vieux boudoir »(v.8), « vieux sphinx »(v.21). Solitude très présente : son âge ressenti l’écarte de la société humaine, ses proches morts le laissent seul, « Seuls, »(v.14), « Saharah » plus grand désert du monde dans lequel le poète est seul, enfin « ignoré du monde insoucieux. Oublié sur la carte.. »(v.21-22).

( phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

II- Un Spleen envahissant.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) L’omniprésence de la mort.

  • champ lexical mortuaire très développé dans la deuxième strophe : « pyramide », « caveau »(v.6), « morts », « fosse commune »(v.7), « cimetière »(v.8), « morts »(v.11), « gît »(v.12).
  • Dans la troisième strophe, évocation de la mort avec les termes contraires : « immortalité »(v.18), « vivante »(v.19). L’adjectif « morne »(v.16) par sa sonorité rappelle évidemment le mot mort, et le « soleil qui se couche » est une métaphore de la fin de la vie.
  • Atmosphère crépusculaire annonçant la fin : « abhorré de la lune »(v.5) jamais éclairé, description du boudoir d’une femme âgée (v.11 à 14) entre les fleurs fanées ou l’odeur désagréable (« flacon débouché »).

b) Un passé qui l’emprisonne et le déshumanise.

  • successions de comparaisons avec des lieux, ou des objets : « Je suis un cimetière », « Je suis un vieux boudoir », « ô matière vivante ! » (s’adresse à lui-même), « Un vieux sphinx ». N’appartient plus à l’espèce humaine, en a perdu son essence.
  • Absence de mouvement de Baudelaire. Il apparaît comme figé : « Qu’un granit entouré d’épouvante »(v.19). Il est emprisonné, et la comparaison avec le granit, pierre dure et représentative de l’immobilité, renforce cette image.
  • Un passé qui agit sur le présent : utilisation du présent dans tout le texte (à part dans le premiers vers introductif avec l’imparfait qui insiste sur les mille ans). Prise de parole du poète avec les tirets (-, v.14, 19) qui nous ancre dans le présent et la réalité. Enfin, adverbe « Désormais »(v.19) indique un changement brusque.

c) Le Spleen.

  • expression directe de la lassitude du poète dès le premier vers : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans », le superlatif (« plus »)avec l’hyperbole connote péjorativement les souvenirs. La deuxième strophe se concentre sur la mémoire, le passé , et la dernière sur les effets de cette mémoire sur l’état d’âme du poète, revient sur la lassitude.
  • Tristesse et désespoir marqués par les mots « triste »(v.5), et « remords »(v.9). La vie a d’ailleurs perdu toute saveur pour le poète : « roses fanées »(v.11, perte de leur éclat), « modes surannées »(v.12, objets devenus inutiles), « pastels plaintifs et les pâles Boucher »(v.13, perte des couleurs, Boucher=peintre du XVIIIème), « flacon débouché »(v.14, perte de l’odorat), « incuriosité »(v.17, perte d’intérêt).
  • Enfin, élément principal du Spleen : « L’ennui »(v.17). Conséquence de l’inaction : utilisation seulement de verbes d’état : « Je suis »(v.5), « Je suis »(v.8), « tu n’es »(v.19). Insistance sur la longueur insupportable de la vie : « se traînent de longs vers »(v.9), « proportion de l’immortalité »(v.18), « Rien n’égale en longueur les boiteuses journées, »(v.15) : hyperboles (immortalité, rien) montrant bien sa lassitude, son ennui.
  • Impossibilité de s’en sortir : « Qui s’acharnent toujours.. »(v.10)

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction).

Conclusion :

Dans ce poème en trois strophes inégales, Baudelaire nous expose la lourdeur de son passé. Evoqué réellement et métaphoriquement, ce dernier prend l’aspect d’une mort omniprésente. Immobile et figé, le poète n’est déjà plus vivant, exclu du monde, solitaire et abandonné. Cet état provient de son ennui, son inaction qui le poussent à réfléchir douloureusement à son passé. (reprise des conclusions partielles et réponse à l’annonce de plan).

Par l’utilisation du présent, l’implication personnelle du poète et des images frappantes, hyperboliques, le lecteur ressent avec intensité le mal de vivre baudelairien. Ce dernier paraît inéluctable et répétitif, comme une prison l’enfermant. (réponse à la problématique)

Ce poème nous renseigne sur la vie difficile de Baudelaire, poète, sans argent, dépressif, qui tire de ces moments de désespoir l’inspiration pour ses textes les plus sombres. L’impression d’emprisonnement caractérise ses états, comme dans un autre Spleen (« Quand le ciel bas et lourd.. », LXII). (ouverture)

(Conclusion en quatre parties avec réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, et ouverture)

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