Phèdre, acte 5 (V), scène 6 (VI), « la tirade de Théramène », commentaire, Analyse, Racine, 1677.

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Phèdre, Acte 5 (V), scène 6 (VI), tirade de Théramène, Racine, 1677.

Théramène
A peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char. Ses gardes affligés
Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes ;
Ses superbes coursiers, qu’on voyait autrefois
Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix,
L’oeil morne maintenant et la tête baissée,
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la terre, une voix formidable
Répond en gémissant à ce cri redoutable.
Jusqu’au fond de nos coeurs notre sang s’est glacé ;
Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S’élève à gros bouillons une montagne humide ;
L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes ;
Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes ;
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugissements font trembler le rivage.
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;
Le flot qui l’apporta recule épouvanté.

Tout fuit ; et sans s’armer d’un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,
Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,
Il lui fait dans le flanc une large blessure.
De rage et de douleur le monstre bondissant
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
Se roule, et leur présente une gueule enflammée
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur les emporte, et sourds à cette fois,
Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix ;
En efforts impuissants leur maître se consume ;
Ils rougissent le mors d’une sanglante écume.
On dit qu’on a vu même, en ce désordre affreux,
Un dieu qui d’aiguillons pressait leur flanc poudreux.
A travers des rochers la peur les précipite.
L’essieu crie et se rompt : l’intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé ;
Dans les rênes lui−même, il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;
Ils courent ; tout son corps n’est bientôt qu’une plaie.
De nos cris douloureux la plaine retentit.

Leur fougue impétueuse enfin se ralentit ;
Ils s’arrêtent non loin de ces tombeaux antiques
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques,
J’y cours en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit,
Les rochers en sont teints, les ronces dégouttantes
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
J’arrive, je l’appelle, et me tendant la main,
Il ouvre un oeil mourant qu’il referme soudain :
« Le ciel, dit−il, m’arrache une innocente vie.
Prends soin après ma mort de la triste Aricie.
Cher ami, si mon père un jour désabusé
Plaint le malheur d’un fils faussement accusé,
Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
Dis−lui qu’avec douceur il traite sa captive,
Qu’il lui rende… » A ce mot, ce héros expiré
N’a laissé dans mes bras qu’un corps défiguré,
Triste objet, où des dieux triomphe la colère.
Et que méconnaîtrait l’oeil même de son père.

 

 

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion de la scène 6 (VI) acte 5 (V), tirade de Théramène, Phèdre, Racine, 1677.

(ceci n’est pas un modèle, mais évidemment un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture).

 

Introduction :

 

Phèdre marque le début du succès pour Racine. Il devient avec cette pièce en 1677 le grand tragédien du classicisme. Inspiré par les tragédies du Grec Euripide Hippolyte porteur de couronne (-428), et du latin Sénèque Phèdre (entre 49 et 62), la pièce de Racine se situe à Trézène dans le Péloponnèse, à l’époque de la guerre de Troie. Basée sur une histoire légendaire, elle met en scène l’amour interdit de Phèdre, femme du roi d’Athènes Thésée, pour son beau-fils Hippolyte. (accroche avec informations sur l’oeuvre et sur l’auteur)

Le passage étudié se situe à la fin de la pièce. Proche du dénouement, il continue la plongée dans la tragédie débutée avec le suicide d’Oenone au début de ce dernier acte. Thésée commence à comprendre sa méprise, il doute de la trahison de son fils. Et Théramène, gouvernant d’Hippolyte, vient lui apprendre la mort de son fils. C’est dans une tirade expressive et épique qu’il décrit les circonstances de sa mort.(présentation du texte)

Comment Racine fait-il de cette tirade un moment fort de la pièce, un moment impressionnant et marquant de son œuvre ? (problématique)

Tout d’abord, nous mettrons en avant le caractère épique du récit. Ensuite, nous verrons qu’il constitue pour Hippolyte un éloge posthume, un panégyrique, pour finir par dégager le genre baroque et la tonalité tragique du texte. (annonce du plan)

 

(introduction en quatre parties avec l’accroche, la présentation de l’extrait, la problématique, et l’annonce du plan).

 

I- Un récit vivant et épique.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

 

a) Un récit rapide et vif.

  • tirade rédigée au présent, à part le début à l’imparfait : « Répond », « S’élève », « approche », « vomit »…jusqu’à la fin du texte. Impression de réalité, confère au récit plus de vie.
  • Point de vue externe dans la plus grande partie du texte. Témoignage direct de Théramène « J’ai vu »(v.1547). Spectateur de la pièce devient spectateur de la scène. Immersion dans la scène racontée.
  • Immersion renforcée par la mise en avant de l’ouïe et de la vue afin de transmettre au spectateur les sensations : répétition de « cri »(v.1508, v.1510, « crie » v.1542) et « voix »(v.1504, v.1509, V.1536, v.1549), de même insistance sur la vue « yeux »(v.1515), « voit »(v.1522), « vu »(v.1539), « Voit »(v.1543), « image »(v.1545).. répétition « oeil »(v.1560, v.1570).
  • Diversité dans l’énonciation : impersonnelle « Il était » (v.1499), à la première personne du singulier « J’ai vu »(v.1547), au discours direct avec la prosopopée entre vers 1561 et la fin « dit-il »(v.1561). Diversité qui crée empêche la monotonie de s’installer.

b) Une scène épique.

  • une scène d’action avec une multitude de verbes de mouvement :  « L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux »(v.1515), « Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,/Pousse au monstre.. »(v.1528,1529), et dans tout le texte. Ses deux vers montrent aussi l’accumulation rapide de verbes de mouvement qui donne une impression d’urgence.
  • Des figures de style typiques du registre épique. Hyperboles : « effroyable cri »(v.1507), « voix formidable »(v.1509), « cri redoutable »(v.1510), «font trembler le rivage »(v.1521, métaphore d’un tremblement de terre), « Le flot qui l’apporta recule épouvanté »(v.1524, personnification hyperbolique)…, le champ lexical de la guerre « char », « gardes »(v.1499), « s’armer »(v.1525) « javelots »(v.1528).
  • Construction du texte comme une geste, une légende : le départ du héros (v.1498-1506), l’apparition du monstre (v.1507-1526), le combat (v.1527-1544), l’agonie et la mort héroïque(v.1545-fin).
  • Enfin, scène « presque cinématographique » avec un décor impressionnant « portes de Trézène » (arrière plan, v.1498), les « flots » (qui encercle le héros v.1507), le gigantisme du monstre « montagne humide »(v.1514). Puissance épique de cette reconstitution.

 

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

 

II- Un éloge posthume.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème)

a) Un héros.

  • répétition du mot héros dans la tirade : « héros »(v.1527, 1566). Rappel de l’origine, de l’ascendance illustre d’Hippolyte : « fils d’un héros »(v.1527), « des rois ses aïeux »(v.1554).
  • Portrait élogieux avec adjectifs mélioratifs : « digne »(v.1527), « intrépide »(v.1542), « généreux sang »(v.1556).
  • Solitude du héros : « Hippolyte lui seul »(v.1527). Combat entre lui et le monstre. Seul protagoniste de cette opposition.
  • Comportement courageux et noble : « son silence »(v.1500), garde sa peine pour lui-même, pas d’hésitation devant l’effroyable monstre « Arrête ses coursiers, saisit ses javelots »(v.1528), pense aux autres même en agonisant « Prends soin après sa mort se la triste Aricie »(v.1562). Héros classique vertueux, brave, et digne.

 

b) Une réhabilitation.

  • tirade dont le but est de montrer à Thésée le courage de son fils, et son erreur dans la malédiction qu’il a lancée : « Un dieu qui d’aiguillons pressait leur flanc poudreux »(v.1540), périphrase évoquant évidemment Neptune et son trident, appelé par Thésée dans l’acte IV pour punir son fils.
  • Lien de parenté rappelé plusieurs fois dans la tirade : la tristesse du début et son exil de Trézène sont une conséquence du rejet de son père, « fils »(v.1527, 1547, 1564), « père »(v.1563, 1570), de plus le dernier « père » termine la tirade, et souligne ainsi l’importance de ce lien.
  • Enfin, de manière générale, apologue avec une morale implicite qui dit que l’énervement de Thésée a coûté la vie à son fils. La sagesse aurait dû l’amener à vérifier les accusations.

 

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

 

III- Un récit tragique et baroque.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Un registre pathétique et tragique prononcé.

  • expression de la souffrance morale et physique tout au long du texte : morale au début, « affligés »(v.1499), « morne »(v.1505), « triste »(v.1506), « douleur »(v.1545), « pleurs »(v.1546), « malheureux »(v.1547), physique ensuite « plaie »(v.1550), « œil mourant »(v.1560), « corps défiguré »(v.1568).
  • Présence évidente de la mort dans le passage avec le décès d’Hippolyte :  « ce héros expiré »(v.1567).
  • Fatalité exprimée tout au long du texte. Hippolyte se défait du monstre, arrive à le vaincre : « Il lui fait dans le flanc une large blessure »(v.1530), mais il ne peut quand même se sauver « il tombe embarrassé »(v.1544). Il est en effet poursuivi par la malédiction lancée sur lui « des dieux triomphe la colère »(v.1569). Il ne peut échapper à sa destinée fatale.

 

b) Une scène baroque.

 

  • une scène invraisemblable, en contradiction avec les principes du classicisme : « un monstre furieux »(v.1516), «Indomptable taureau, dragon impétueux »(v.1519). Bête irréelle, apparaissant de nulle part, rappelant des animaux mythologiques comme la chimère ou légendaires comme le dragon.
  • Scène loin aussi de la retenue et de la sobriété du classicisme. Exagération et distorsion très présentes dans le texte. Le désordre typique du baroque apparaît bien dans la déformation de la nature : vers 1507, 1508, 1509, et vers 1522, 1523, 1524. Les éléments sont déchaînés.
  • Allitérations en « r », et « s » qui mettent en avant la violence du combat, et la présence du sang (assonances en « an » fréquentes aussi, « bondissant », « mugissant », « sang », v.1532, 1533, 1535 ) : «Sa croupe se recourbe en replis tortueux »(v.1520), ou « Arrête ses coursiers, saisit ses javelots »(v.1528), parmi beaucoup d’autres dans la tirade.
  • Enfin, vision et description baroque de la mort du héros. Des détails choquants ne sont pas épargnés : « les ronces dégoûtantes »(v.1557), « les dépouilles sanglantes »(v.1558), « corps défiguré »(v.1568).
  • Genre baroque du texte qui choque, insiste sur la mort physique du héros, et centre le combat contre un monstre imaginaire dans un décor en mouvement et désordonné.

 

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction).

Conclusion :

 

Cette tirade possède une forte tonalité épique. Décrivant un combat, elle se déroule sur un rythme rapide, en utilisant des verbes de mouvement, et des figures de style qui visent à rendre le spectacle impressionnant. La figure centrale est Hippolyte, héros solitaire et courageux, qui parvient à vaincre le monstre, mais qui décède quand même, avec dignité, générosité et vertu. Ce rappel des qualités de son fils, Théramène le fait pour aussi culpabiliser Thésée d’avoir porté une malédiction sur son fils. La tragédie de ce passage se remarque évidemment par la mort finale du héros, ainsi que par la fatalité qui l’écrase inexorablement. Cette vision classique et tragique est contrebalancée par l’atmosphère particulièrement baroque visible dans le désordre de la nature, l’apparition d’un monstre imaginaire, et l’agonie sanguinolente du héros. (réponse à l’annonce de plan)

Cette tirade constitue un passage très fort de l’oeuvre. Longue, épique, impressionnante, elle cherche à rendre hommage à Hippolyte. Deuxième personnage à mourir dans la pièce, son décès est mis en scène, quand celui d’Oenone était juste évoqué. C’est cette tirade qui donne à Phèdre un souffle héroïque, qui renforce encore la profondeur tragique. (réponse à la problématique)

Ce passage aussi violent et tragique soit-il ne clôt pas encore la pièce. Les deux morts d’Oenone et d’Hippolyte ne constituent en fait qu’un prologue au suicide de l’héroïne Phèdre, qui malade de chagrin pour la mort d’Hippolyte, honteuse de sa faute, et incapable d’affronter sa culpabilité choisit de mettre fin à sa vie dans le dénouement. Cette accumulation de tragédies confère à la pièce une grande puissance pour certains, une suite exagérée de malheurs pour d’autres. (ouverture).
(conclusion en trois parties avec réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, et ouverture).

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