Phèdre, Acte 4 (IV), scène 6 (VI), première partie, analyse, commentaire, Racine, 1677

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Phèdre, Acte 4 (IV), scène 6 (VI) première partie, racine, 1677.

 

Scène VI

Phèdre, Oenone

Phèdre


Chère Oenone, sais−tu ce que je viens d’apprendre ?

Oenone
Non ; mais je viens tremblante, à ne vous point mentir.
J’ai pâli du dessein qui vous a fait sortir ;
J’ai craint une fureur à vous−même fatale.

Phèdre


Oenone, qui l’eût cru ? j’avais une rivale !

Oenone


Comment ?

Phèdre


Hippolyte aime, et je n’en puis douter.
Ce farouche ennemi qu’on ne pouvait dompter,
Qu’offensait le respect, qu’importunait la plainte,
Ce tigre, que jamais je n’abordai sans crainte,
Soumis, apprivoisé, reconnaît un vainqueur ;
Aricie a trouvé le chemin de son coeur.

Oenone


Aricie ?


Phèdre


Ah ! douleur non encore éprouvée !
A quel nouveau tourment je me suis réservée !
Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,
La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords,
Et d’un cruel refus l’insupportable injure,
N’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.
Ils s’aiment ! Par quel charme ont−ils trompé mes yeux ?
Comment se sont−ils vus ? depuis quand ? dans quels lieux ?
Tu le savais. Pourquoi me laissais−tu séduire ?
De leur furtive ardeur ne pouvais−tu m’instruire ?
Les a−t−on vus souvent se parler, se chercher ?
Dans le fond des forêts allaient−ils se cacher ?
Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence
Le ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;
Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;
Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux.
Et moi, triste rebut de la nature entière,
Je me cachais au jour, je fuyais la lumière.
La mort est le seul dieu que j’osais implorer.
J’attendais le moment où j’allais expirer ;
Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
Encor dans mon malheur de trop près observée,
Je n’osais dans mes pleurs me noyer à loisir.
Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir,
Et sous un front serein déguisant mes alarmes,
Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.


Oenone


Quel fruit recevront−ils de leurs vaines amours ?
Ils ne se verront plus.

Phèdre


Ils s’aimeront toujours !

[…]

 

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion de la première partie de la scène 6 (VI) de l’acte 4 (IV) de Phèdre, Racine, 1677.

(Ceci est évidemment un exemple, et non un modèle. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture).

 

Introduction :

 

Phèdre marque le début du succès pour Racine. Il devient avec cette pièce en 1677 le grand tragédien du classicisme. Inspiré par les tragédies du Grec Euripide Hippolyte porteur de couronne (-428), et du latin Sénèque Phèdre (entre 49 et 62), la pièce de Racine se situe à Trézène dans le Péloponnèse, à l’époque de la guerre de Troie. Basée sur une histoire légendaire, elle met en scène l’amour interdit de Phèdre, femme du roi d’Athènes Thésée, pour son beau-fils Hippolyte. (accroche avec informations sur l’oeuvre et sur l’auteur)

Le passage étudié correspond à la première partie de la scène VI de l’acte IV. Phèdre vient d’apprendre qu’Hippolyte est amoureux d’une autre femme, d’Aricie. C’est pour elle une surprise, et elle se confie à Oenone. Dans cette première partie de la scène, elle évoque sa douleur et son incompréhension face à cette nouvelle désillusion. (présentation du passage)

En quoi ce passage renforce-t-il encore le caractère profondément tragique du personnage de Phèdre ? (problématique)

Nous détaillerons dans un premier temps les éléments qui expriment un nouveau retournement de situation dans la pièce, avant de nous concentrer sur le renouvellement des souffrances de Phèdre, et de sa tragédie. (annonce de plan).

(introduction en quatre parties : accroche, présentation du texte, problématique, annonce de plan).

 

I- Un nouveau rebondissement.

(introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

 

a) La surprise.

 

  • dès le début de la scène, la surprise est marquée par des questions directes de la part de Phèdre : « sais-tu ce que je viens d’apprendre ? ». D’ailleurs tout le passage est construit autour de questions répétées.
  • Surprise de Phèdre contenue dans le vers : « Oenone, qui l’eût cru ? J’avais une rivale ». Question générale, montrant que la surprise est universelle. Exclamation accentuant cette impression, et dévoilant le contenu de la surprise « une rivale ! »
  • Réaction dOenone montre encore la surprise. Elle n’est pas au courant non plus : « Non », « Comment ? », et montre son incrédulité « Aricie ? »
  • Enfin, recherche d’informations supplémentaires dans le texte afin de mieux comprendre cette nouvelle situation : « Par quel charme […]se cacher ? ». Champ lexical de l’information d’ailleurs dans le texte : « sais-tu », « apprendre », « instruire ».

b) La transformation d’Hippolyte.

 

  • portrait d’Hippolyte dressé par Phèdre dans sa troisième réplique. Métaphore animale filée : « dompté », « tigre », « apprivoisé ».
  • portrait construit par des parallélismes : « Hippolyte aime et je n’en puis douter », « Qu’offensait le respect, qu’importunait la plainte ». Procédé insistant sur la transformation d’Hippolyte, son ancien visage et son nouveau.
  • Trois vers au passé : « pouvait », « offensait », « importunait » (imparfait), « abordai »(passé simple ». Caractère sauvage d’Hippolyte « farouche », « tigre », qui inspirait la peur « ennemi », « crainte ».
  • Trois vers au présent : « aime », « reconnaît », « a trouvé » (passé composé). Décrit son état actuel : « soumis, apprivoisé », comme si l’animal sauvage s’était transformé en animal domestique (connotation péjorative qui sous-entend la perte de sa fierté). Raison de cette transformation « Hippolyte aime, « le chemin de son coeur », l’amour qui encadre la réplique.

c) la jalousie.

 

  • utilisation du terme « rivale » qui marque l’adversité, la colère de Phèdre vis-à-vis d’Aricie, renforcée par le « ! ».
  • vision péjorative de la transformation d’Hippolyte montre aussi cette pointe de jalousie ressentie par Phèdre, notamment force du terme « soumis ».
  • Enfin, série de questions sur les circonstances de leur amour constitue une manifestation de sa jalousie : « Comment se sont-ils vus ? depuis quand ? dans quels lieux ? ». Réaction habituelle de la personne jalouse qui cherche à savoir. De plus, bonheur des amoureux crée le malheur de Phèdre « Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence ».
  • Phèdre n’est pas sensible au bonheur d’Hippolyte, mais plutôt à la jalousie qu’elle ressent. Cette jalousie remplace sa honte. Transformation du sentiment de culpabilité en jalousie : « A quel nouveau tourment… », objet de sa douleur nouvelle : « Ils s’aiment ! »

 

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

 

II- Une scène pathétique et tragique.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

 

a) Une situation qui empire.

  • Oenone elle-même paraît dépassée par ce nouveau rebondissement : « tremblante », « J’ai pâli », « J’ai craint ». Elle est aussi absorbée par la peur.
  • Elle commence aussi à être englobée dans la colère et le désespoir de Phèdre : « Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire ? », premier reproche qui annonce la suite de la scène et la mise à l’écart d’Oenone. Renforcement de la solitude de Phèdre.
  • Découverte qui empire une situation déjà mauvaise : « N’était qu’un faible essai du tourment que j’endure », litote qui rend la souffrance de Phèdre encore plus forte. Vers qui termine une gradation commencée par « Tout ce que j’ai souffert…. ». Gradation qui décrit l’aggravation de la situation.

b) Un registre pathétique omniprésent.

 

  • des procédés rhétoriques insistent sur sa souffrance et la difficulté de sa situation. Une ponctuation expressive qui marque son désespoir : « Ah ! », « éprouvée ! », « réservée », « Hélas ! ». Hyperboles utilisées aussi : « rebut de la nature entière », « dans mes pleurs me noyer ». Enfin, allitérations nombreuses en « r » évoquant la cruauté : « douleur non encore éprouvée », « tourment », « réservée », « souffert »…  « serein », « alarmes », « priver », « larmes ».
  • Champ lexical pathétique très développé, physique « Tremblante », « pâli », « en tremblant », mais surtout morale « douleur », « tourment », « souffert », « remords », « tourment », « triste », « larmes », « malheur », « pleurs », « larmes ». L’évocation de sa douleur « j’ai souffert » (lyrisme) est ininterrompue dans sa tirade.
  • De plus, le parallèle effectué entre sa déception et l’amour d’Hippolyte et d’Aricie accentue sa douleur. Tirade composée de trois parties : une souffrance nouvelle (les six premiers vers de la tirade), deux amoureux heureux (les dix suivants), la souffrance déjà présente (la fin de la tirade). Parallélisme entre « l’horreur de mes remords » et « sans remords leur penchant amoureux », ou « Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux » et « Je me cachais au jour ».
  • La tristesse de Phèdre est renforcée, appuyée par le bonheur du couple.

c) La poursuite d’une destinée tragique

 

  • évocation de la mort à plusieurs reprises : « une fureur à vous-même fatale » euphémisme par une périphrase pour le suicide, « La mort », « expirer », « me noyer ».
  • la fatalité se remarque aussi par un champ lexical, par les mots du tragique : « dessein », « fatale », « Hélas ! », « funeste », « toujours ».
  • Après l’impossibilité d’aimer Hippolyte pour leur lien de parenté, la honte de son aveu (« Et d’un cruel refus l’insupportable injure »), nouvel obstacle, qui paraît une nouvelle fois imposé, extérieur à sa volonté et à son pouvoir : « Par quel charme », « Le ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ». Des forces inconnues travaillent à leur amour (et donc luttent contre le sien) : magie « charme », les dieux « Le ciel ».
  • Encore, impossibilité de changer : « Ils s’aiment ! »(présent de vérité générale », « Ils s’aimeront toujours »(futur marquant la certitude, « toujours » l’éternité). Son désespoir apparaît dès lors sans issue, fatal : les dieux, Hippolyte et maintenant Aricie sont contre elle.

 

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

 

Conclusion :

 

La première partie de cette scène se concentre sur le nouveau retournement de situation que provoque la découverte par Phèdre de l’amour d’Hippolyte pour Aricie. La surprise et la stupéfaction marquent les premières répliques. Hippolyte change de visage pour Phèdre, il passe d’un statut de dominant à dominé. De même, sa honte et sa culpabilité laissent place à la jalousie et à la curiosité malsaine. Cette nouvelle épreuve enfonce encore un peu plus Phèdre dans la souffrance. Une souffrance dont elle ne peut s’échapper, tant elle apparaît cernée par la fatalité. (réponse à l’annonce de plan)

Hippolyte se refuse à elle, la honte la submerge, les dieux perpétuent la malédiction qui pèse sur sa famille (depuis sa mère Pasiphaë). Et s’ajoute maintenant une rivale, et la certitude que l’amour réciproque du couple Hippolyte-Aricie détruit toute possibilité, même imaginaire, d’espérer l’amour de son beau-fils. Phèdre est déchirée par un nouveau mal, celui de la jalousie, comme si sa chute tragique ne pouvait finir. (réponse à la problématique)

La suite de la scène confirme d’ailleurs ce sentiment. Elle congédie Oenone, et se retrouve alors totalement seule. Entraînée par sa jalousie, Phèdre abandonne le projet de disculper Hippolyte, de raconter la vérité afin de le ramener près de son père et de lui rendre son honneur. Les conséquences sont terribles avec le suicide d’Oenone, et la mort d’Hippolyte dans l’Acte suivant. (ouverture)

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