Le Barbier de Séville, Acte 1 (I), scène 2, scène d’exposition, Beaumarchais, 1775, commentaire, analyse.

Le Barbier de Séville, Acte I, scène 2, scène d’exposition, Beaumarchais, 1775.

…….

(Il aperçoit le comte.) J’ai vu cet abbé-là quelque part.

(Il se relève.)

Le Comte, à part.

Cet homme ne m’est pas inconnu.

Figaro.

Non, ce n’est pas un abbé ! Cet air altier et noble…

Le Comte.

Cette tournure grotesque…

Figaro.

Je ne me trompe point ; c’est le comte Almaviva.

Le Comte.

Je crois que c’est ce coquin de Figaro.

Figaro.

C’est lui-même, monseigneur.

Le Comte.

Maraud ! si tu dis un mot…

Figaro.

Oui, je vous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré.

Le Comte.

Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras…

Figaro.

Que voulez-vous, monseigneur, c’est la misère.

Le Comte.

Pauvre petit ! Mais que fais-tu à Séville ? Je t’avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi.

Figaro.

Je l’ai obtenu, monseigneur, et ma reconnaissance…

Le Comte.

Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu ?

Figaro.

Je me retire.

Le Comte.

Au contraire. J’attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu’un seul qui se promène. Ayons l’air de jaser. Eh bien, cet emploi ?

Figaro.

Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire.

Le Comte.

Dans les hôpitaux de l’armée ?

Figaro.

Non ; dans les haras d’Andalousie.

Le Comte, riant.

Beau début !

Figaro.

Le poste n’était pas mauvais, parce qu’ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval…

Le Comte.

Qui tuaient les sujets du roi !

Figaro.

Ah ! ah ! il n’y a point de remède universel ; mais qui n’ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.

Le Comte.

Pourquoi donc l’as-tu quitté ?

Figaro.

Quitté ? C’est bien lui-même ; on m’a desservi auprès des puissances :

L’envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide…

Le Comte.

Oh ! grâce ! grâce, ami ! Est-ce que tu fais aussi des vers ? Je t’ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.

Figaro.

Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Chloris, que j’envoyais des énigmes aux journaux, qu’il courait des madrigaux de ma façon ; en un mot, quand il a su que j’étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m’a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l’amour des lettres est incompatible avec l’esprit des affaires.

Le Comte.

Puissamment raisonné ! Et tu ne lui fis pas représenter…

Figaro.

Je me crus trop heureux d’en être oublié, persuadé qu’un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

Le Comte.

Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu’à mon service tu étais un assez mauvais sujet.

Figaro.

Eh ! mon Dieu ! monseigneur, c’est qu’on veut que le pauvre soit sans défaut.

Le Comte.

Paresseux, dérangé…

Figaro.

Aux vertus qu’on exige dans un domestique, votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?

Le Comteriant.

Pas mal. Et tu t’es retiré en cette ville ?

Figaro.

Non, pas tout de suite.

Le Comte, l’arrêtant.

Un moment… J’ai cru que c’était elle… Dis toujours, je t’entends de reste.

Figaro.

De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires ; et le théâtre me parut un champ d’honneur…

Le Comte.

Ah ! miséricorde !

Figaro.

(Pendant sa réplique, le comte regarde avec attention du côté de la jalousie.)

En vérité, je ne sais comment je n’eus pas le plus grand succès, car j’avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs ; des mains… comme des battoirs ; j’avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds ; et d’honneur, avant la pièce, le café m’avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale…

Le Comte.

Ah ! la cabale ! monsieur l’auteur tombé.

Figaro.

Tout comme un autre : pourquoi pas ? Ils m’ont sifflé ; mais si jamais je puis les rassembler…

Le Comte.

L’ennui te vengera bien d’eux ?

Figaro.

Ah ! comme je leur en garde, morbleu !

Le Comte.

Tu jures ! Sais-tu qu’on n’a que vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges ?

Figaro.

On a vingt-quatre ans au théâtre : la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment.

Le Comte.

Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t’a fait quitter Madrid.

Figaro.

C’est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s’attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d’écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d’argent ; à la fin convaincu que l’utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j’ai quitté Madrid : et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l’Estramadure, la Siera-Morena, l’Andalousie ; accueilli dans une ville, emprisonné dans l’autre, et partout supérieur aux événements ; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là, aidant au bon temps, supportant le mauvais, me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde ; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu’il lui plaira de m’ordonner.

Le Comte.

Qui t’a donné une philosophie aussi gaie ?

Figaro.

L’habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté ?

Le Comte.

Sauvons-nous.

Figaro.

Pourquoi ?

Le Comte.

Viens donc, malheureux ! tu me perds.

(Ils se cachent.)

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion de la scène d’exposition (acte I, scène 2) du Barbier de Séville, Beaumarchais, 1775, commentaire.

(Ceci n’est pas un modèle, mais juste un exemple. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture).

Introduction :

Le Barbier de Séville débute la trilogie sur la famille Almaviva, qui continue ensuite avec le Mariage de Figaro(1784) et La Mère coupable(1792). . Le théâtre de Beaumarchais est à son image, plein de rebondissements, pour un homme qui fut marié trois fois, inventeur, musicien, voyageur, financier, agent secret et trafiquant d’armes. Si son expression est la plupart du temps comique, ses préoccupations sont celles de son temps, du temps des Lumières et de la remise en cause des traditions de l’Ancien régime.(accroche avec informations sur l’auteur et son œuvre)

Pièce comique en quatre actes, l’intrigue principale est traditionnelles des farces avec un barbon (Bartholo) qui souhaite épouser une jeune femme orpheline sous sa tutelle (Rosine), dont le comte Almaviva est amoureux. Figaro, ancien serviteur de l’aristocrate, va remplir le rôle d’entremetteur entre le comte et Rosine, afin d’exaucer les désirs de son maître. La scène étudiée, Acte I scène 2, est l’exposition de la pièce, durant laquelle Figaro et le comte se rencontrent. (présentation générale du texte)

Quelle vision de son temps nous donne Beaumarchais à travers cette scène ? (problématique).

En premier lieu, nous montrerons que cette scène correspond à une exposition traditionnelle et vivante. Ensuite, nous analyserons l’engagement de l’auteur à travers ce passage. (annonce de plan)

(introduction en quatre parties avec l’accroche, la présentation du texte, la problématique, et l’annonce de plan)

I- Une exposition vivante.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Les éléments traditionnels de l’exposition.

    • Présentation des deux personnages principaux avec Figaro et le comte : « c’est le comte Almaviva », « c’est ce coquin de Figaro », présent de vérité générale.
    • Le comte est montré comme un puissant : « monseigneur », « Votre Excellence », qui peut influencer les autorités « Le ministre, ayant égard à la recommandation ». Respect de Figaro par le vouvoiement.
    • La description de Figaro par le comte est plus péjorative : « si gros et si gras », « paresseux et dérangé ». Détails sur sa vie : « garçon apothicaire », « domestique », « le théâtre ». Vie mouvementée rappelant celle de l’auteur.
    • Repères spatio-temporels. L’action semble se dérouler à l’époque de Beaumarchais. Rappel de la localisation en Espagne : « Andalousie », « Madrid », énumération lors de la longue réplique de Figaro « les deux Castilles, la Manche, l’Estramadure, la Sierra-Morena, l’Andalousie ». L’action de la pièce se situe plus précisément à Séville : « que fais-tu à Séville ? ».

b) Une scène vivante.

    • rythme rapide avec des répliques courtes (sauf trois longues répliques de Figaro), deux lignes maximum pour le Comte.
    • Stichomythie en plusieurs occasions, les personnages ne peuvent parfois même pas terminer leur prise de parole : « Maraud ! Si tu dis un mot… », « et le théâtre me parut un champ d’honneur… ».
    • exposition en media res, avec la mise en scène d’une rencontre par hasard : « Je ne me trompe point, c’est le comte Almaviva ».
    • début de l’intrigue, avec l’évocation de l’obsession du comte pour Rosine : « J’ai cru que c’était elle… ». Stratégie d’approche du comte dévoilée : « Ne vois-tu pas à mon déguisement, que je veux rester inconnu ? »
    • Suspense de la fin de la scène : « Viens donc, malheureux ! Tu me perds. (Ils se cachent) ». Annonce de révélations et d’actions à suivre.

c) Une comédie.

    • Chant lexical du comique : « riant » (deux didascalies du comte), « joyeuse colère »(oxymore), « philosophie aussi gaie », « Je me presse de rire ».
    • comique de mots à travers des hyperboles et/ou du langage familier : « tournure grotesque », « coquin », « si gros et si gras », « Pauvre petit ! », expressions centrées sur Figaro, personnage comique posé dès le départ.
    • Ironie flagrante : « voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré », alors qu’il vient de la menacer « Maraud ! Si tu dis un mot.. » les bontés n’en sont donc évidemment pas, de plus, « dans les haras d’Andalousie », « Beau début ! », il est encore évident que le comte se moque de lui. D’autres exemples d’ironie se remarquent dans tout le passage.
    • Comique de gestes et de situation : didascalies « l’arrêtant », « …le comte regarde avec attention du côté de la jalousie » (il n’écoute donc pas Figaro) , « Ils se cachent », alors que Figaro ne sait pas pourquoi. Situation inexplicable dans cette scène avec la nervosité du comte qui entraîne Figaro dans sa machination.

(phrase de conclusion/transition lors de la rédaction de la partie)

II- L’exposition d’une pièce engagée .

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

a) Une réflexion sur le théâtre.

    • mise en abîme du théâtre. Le Comte joue un jeu : « Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas mon déguisement… ». Il est un acteur à l’intérieur de la scène. Double identité du comte qui se poursuit dans l’oeuvre.
    • Il entraîne Figaro dans ce jeu, et les spectateurs voient la réalité des personnages qui produisent du théâtre, de l’illusion à l’intérieur de la scène : « et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu’un seul qui se promène. Ayons l’air de jaser. »
    • structure de la scène constituée par de multiples retournements de situation typiques du théâtre : interrogations sur l’identité des personnages, reconnaissances du comte et de Figaro, discussion ordinaire sur les nouvelles de la vie de Figaro, plusieurs monologues de Figaro, enfin sortie précipitée des deux protagonistes.
    • Description du monde du théâtre à l’époque de Beaumarchais. Techniques malhonnêtes pour obtenir le succès : « En vérité […] les meilleures dispositions. ». Difficulté pour faire accepter ce métier encore jugé scandaleux : « et m’a fait ôter mon emploi », pour créer sans se faire attaquer par la censure, ou par ses pairs « la cabale »(désigne un complot destiné à médire sur une pièce ou un auteur, souvent utilisée au XVII et XVIIIème siècle, Beaumarchais lui-même en fut victime, cf le préambule de la pièce avec la « Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville »).

b) La satire de la société de son temps.

    • Beaumarchais nous propose une vision critique par la satire de son époque sur plusieurs domaines.
    • Tout d’abord, une satire de la société littéraire et des goûts littéraires de son époque : « que j’étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique, et m’a fait ôter mon emploi » (critique de la censure), « l’ennui te vengera bien d’eux » (critique des œuvres trop académiques, sans originalité).
    • La satire de la médecine, comme avant chez Molière (le médecin malgré lui, ou le malade imaginaire) : « le district des pansements…de bonnes médecines de cheval », ironie sur les médicaments et leur efficacité à l’époque, « Qui tuaient les sujets du roi ! », il montre encore plus que l’inefficacité de la médecine, sa nocivité.
    • Enfin, une vision encore péjorative de la justice : « Sais-tu qu’on a vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges ? » : justice expéditive, et qui paraît toujours injuste « maudire ».

c) Un auteur des Lumières.

    • charge contre les puissants : « on m’a desservi auprès des puissances », « un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal », vision négative des aristocrates qui avant tout contraignent les plus faibles, le tiers-état.
    • Ironie mordante de Figaro pour montrer cette différence : « que le pauvre soit sans défaut », qui sous-entend que le puissant peut en avoir. Différence aussi de respect entre les deux, vouvoiement de Figaro, traitement dégradant du comte à travres un vocabulaire péjoratif (vu au-dessus) : « mauvais sujet », sujet=terme de l’Ancien Régime.
    • Mise en avant de la relation maître/valet : « dans un domestique », « en tout ce qu’il lui plaira de m’ordonner », il écoute et obéit au comte jusqu’à la fin « Pourquoi ? », « Viens donc malheureux!tu me perds », « Ils se cachent » : le comte ne répond pas à sa question mais le suit quand même.
    • Mais, retournement de la relation, comme chez Diderot dans Jacques le fataliste : « votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? ».
    • philosophie du bonheur simple et individuel de Figaro, correspondant à un principe des Lumières : « philosophie aussi gaie », argumentation logique de Figaro « Je me presse de rire de peur d’être obligé d’en pleurer », le bonheur paraît donc être la seule attitude logique.

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

Conclusion :

La deuxième scène de la pièce constitue l’exposition. Les deux personnages principaux sont introduits, ainsi que les éléments spatio-temporels. Le rythme trépidant des pièces de Beaumarchais, ainsi que la forte tonalité comique se remarquent dès le début. Cette exposition nous montre encore que l’auteur n’écrit pas simplement que pour le divertissement. Il expose sa vision du théâtre à son époque, de sa société sur la médecine, la littérature ou la justice. Il se pose enfin comme un auteur des Lumières qui critique l’inégalité de l’Ancien Régime, et met en avant la recherche du bonheur. (reprise des conclusions partielles)

Beaumarchais ouvre sa pièce par une scène divertissante, rythmée, et comique. Il nous emmène directement dans son univers fait de retournements de situation multiple. Mais surtout, il débute par une violente critique de la noblesse et des puissants. Il règle aussi ses comptes vis-à-vis des autorités de l’ancien régime, et des lettres. (réponse à la problématique)

Les thèmes abordés dans l’exposition du Barbier de Séville, tout comme la rapidité de l’écriture et la mise en abîme du théâtre ressemblent à l’exposition du Mariage de Figaro. Cette réflexion des Lumières par la comédie, par la satire rappelle évidemment les comédies e Molière. (ouverture)

(conclusion en trois parties avec réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, et ouverture)

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