La jeune veuve, Livre VI, fable 21, La Fontaine, 1668, commentaire, analyse.

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La jeune veuve, Livre VI, fable 21, La Fontaine, 1668.

 

La Jeune Veuve

 

La perte d’un époux ne va point sans soupirs.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la Veuve d’une année
Et la veuve d’une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne.
L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;
C’est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu’on est inconsolable ;
On le dit, mais il n’en est rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plutôt par la vérité.
L’Epoux d’une jeune beauté
Partait pour l’autre monde. A ses côtés sa femme
Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler.
Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler,
Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l’heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt.- Ah ! dit-elle aussitôt,
Un Cloître est l’époux qu’il me faut.
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe.
L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d’autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin.
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
Le Père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre Belle :
Où donc est le jeune mari
Que vous m’avez promis ? dit-elle.

Exemple d’un plan de commentaire avec introduction et conclusion de La jeune veuve, Livre VI, fable 21, La Fontaine, 1668.

(ceci n’est qu’un exemple, et évidemment pas un modèle. Votre réflexion personnelle peut mener à d’autres pistes de lecture)

 

Introduction :

 

La Fontaine, grande figure du classicisme, remet au goût du jour le genre de la Fable au XVIIème siècle, en s’inspirant des Anciens, notamment d’Esope et de Phèdre. Dédicacées au Dauphin (l’héritier de Louis XIV), il utilise souvent le monde animal pour dénoncer les injustices de son temps. La forme de la fable correspond parfaitement l’idéal classique de brièveté, et du « plaire et instruire ». (contexte littéraire et auteur).

Cependant, ici, la Jeune Veuve (dernière fable du livre VI) n’utilise pas le règne animal pour métaphore. Influencée par le fabuliste italien humaniste du XVI ème siècle, Abstémius, La Fontaine transpose son récit « La femme qui pleurait son mari mourant et son père qui la consolait ». Le texte nous raconte le deuil d’une jeune veuve. Avec le temps, et les conseils de son père, elle retrouvera goût à la vie et à ses plaisirs. (présentation du texte)

Comment La Fontaine arrive-t-il à concilier les impératifs du classicisme (le « plaire et instruire ») sur un sujet aussi grave ? (problématique)

Nous montrerons dans un premier temps que le récit est plaisant et original, puis nous analyserons l’habileté du fabuliste pour nous transmettre un message optimiste et ironique sur le temps et le deuil. (annonce de plan).

(introduction en quatre parties avec l’accroche, la présentation du texte, la problématique et l’annonce de plan)

 

I- Une récit vivant et original.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

 

a) Une écriture vive.

 

  • hétérométrie dans la Fable avec alexandrins (v.1) et de nombreux octosyllabes (v.4,5,6). L’utilisation importante de l’octosyllabe, vers court et rapide, donne du rythme au récit.
  • De même, diversité des structures de rimes : embrassées (v.1 à 4), plates (v.5,6), croisées (v.7 à 10). Pas de monotonie.
  • Enonciation variée : le « on » impersonnel domine dans la première partie de la fable, ensuite troisième personne du singulier pour les deux personnages : la fille et le père. Donne une diversité de points de vue : omniscient, puis interne pour les personnages.
  • Enfin, découpage entre narration et ensuite discours direct avec le dialogue entre le père et sa fille.

 

b) Une composition originale.

 

  • structure habituelle de la fable inversée. Débute par la morale, et se poursuit par l’anecdote.
  • V1, 2 : la morale rédigée avec un présent de vérité générale. Morale explicite que reprend le thème de la fable, le veuvage « La perte d’un époux »(v.1).
  • V.3 à 15 : explication de la morale (puisqu’elle est placée au début) par le changement grâce au temps « Le Temps ramène les plaisirs »(v.4), avec une introduction de la fable à suivre : « Comme on verra par cette Fable »(v.14),
  • Ensuite, l’épisode raconté est divisé lui-même en trois temps : l’élément perturbateur, la mort de l’époux (v.16 à 22), les conseils du père (v.23 à 34) et le retour des jours heureux (v.35 à 48).

 

c) Un sujet grave sur un ton léger.

 

  • déjà, faible présence du registre pathétique dans le texte, juste rapidement mis en avant entre les vers 18 et 24. Puis, présence rassurante de son père, qui ne la laisse pas dans la solitude.
  • Ensuite, euphémismes pour évoquer la mort : « Partait pour l’autre monde(v.17), « prête à s’envoler »(v.19), « le voyage »(v.20).
  • De plus, champ lexical centré sur des activités joyeuses : « plaisirs »(v.4), énumération v.37 de la toilette féminine, « bande des Amours »(v.40),énumération d’amusements v.41, « fontaine de Jouvence »(v.44).
  • Progression de la Fable de la mort de l’époux vers la nouvelle vie heureuse de la veuve fait oublier au lecteur la tragédie de la jeune femme, pour ne retenir que son nouveau bonheur.

 

(phrase de conclusion/transition de la partie lors de la rédaction)

 

II- Une argumentation habile sur le temps et l’amour.

(phrase d’introduction de la partie avec rappel du thème lors de la rédaction)

 

a) La force argumentative et didactique de la Fable.

 

  • elle tient, comme dit au-dessus, à sa structure et à sa légéreté. Ceci vise à persuader le lecteur, en faisant oublier le caractère dramatique de la mort.
  • Ensuite, l’auteur continue sa persuasion par des procédés rhétoriques : présent de vérité générale ne souffrant pas de contestation dans la première partie du texte, utilisation du « on » impersonnel à valeur universelle et intemporelle (d’ailleurs pas d’indicateurs spatio-temporels précis, ni de noms donnés plus bas au personnage), parallélismes rapides (v.5,6 et v.9).
  • Il ne prouve rien dans un premier temps, mais insiste sur le caractère réel de son observation en transformant sa Fable en « vérité »(v.15). Registre didactique.
  • L’illustration sert à convaincre le lecteur par l’exemple. Il apporte un argument concret à démonstration par le récit de la transformation de la veuve.

 

b) Une réflexion sur le temps.

 

  • Répétition du mot « temps » dans le texte : « Temps » (v.4,5, avec une majuscule pour insister). « temps »(v.30).
  • Progression temporelle dans le texte marquée par un champ lexical de la temporalité et/ou par des connecteurs : « et puis »(v.2), « année »(v.5), « journée »(v.6), « tout à l’heure »(v.27), « après certains temps »(v.30), « mois »(v.35,36), « soir et matin »(v.43).
  • Personnification du Temps qui est l’acteur principal du texte « Le Temps ramène »(v.4). C’est lui qui opère le changement la transformation : « Entre la Veuve d’une année/Et la veuve d’une journée/La différence est grande »(v.5,6,7), ou dans le récit : « Ah!dit-elle aussitôt »(v.32) et « Où donc est le jeune mari/Que vous m’avez promis?dit-elle »(v.47,48)
  • En effet, rien dans la situation de la jeune femme n’a changé sauf n’avancent du temps. Elle est toujours veuve, son ancien mari toujours mort, son père toujours présent, mais le temps a apporté ses solutions.

 

c) Une vision personnelle de La Fontaine.

 

  • Sous les apparences d’objectivité de la fable, l’auteur nous livre sa propre vision du deuil et de l’amour. La figure du père à cet égard représente évidemment La Fontaine : « homme prudent et sage »(v.21), et c’est encore lui qui exprime d’une autre manière la morale de la fable : « Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts »(v.26)
  • Nous percevons aussi l’ironie habituelle du fabuliste à travers le texte. Ainsi, il ne manque pas de dénoncer l’apparence parfois hypocrite du deuil : « Aux soupirs vrais ou faux »(v.10), « On dit qu’on est inconsolable »(v.12, il pense le contraire), « Un Cloître est l’époux qu’il me faut »(v.33), place naturelle d’une veuve à l’époque de La Fontaine. C’est évidemment une attaque sous-entendue contre l’Eglise, avec cette personnification, qui impose le voile aux veuves jeunes ou on.
  • Enfin, le déroulé du récit met en avant les appétits humains pour le plaisir, bien loin des discours nobles et dignes. A cet effet, il choisit une caricature de veuve « jeune beauté »(v.16), et ne la nomme que pour cette qualité « La Belle »(v.21).
  • Le père/La Fontaine, philosophe, sait que la femme ne pourra longtemps résister aux tentations : « Un époux, beau, bien fait, jeune »(v.31), « jeune mari »(v.47). Nous voyons ici le registre satirique de la fable à travers le retournement rapide, presque brutal de la situation.

 

(phrase de conclusion de la partie lors de la rédaction)

 

Conclusion :

 

Cette fable de La Fontaine présente l’originalité de débuter par la fin, par la morale. Elle aborde aussi de manière légère et plaisante un thème lourd, le veuvage. Par son écriture rythmée, sa structure particulière et ses rappels incessants aux plaisirs de la vie, l’auteur parvient à faire oublier la mort de l’époux pour se concentrer sur la transformation qu’opère le temps qui passe sur une jeune veuve. Il utilise un registre fortement argumentatif et didactique pour persuader et convaincre le lecteur de sa vérité, de sa thèse. Nous reconnaissons par ailleurs le caractère ironique et satirique du fabuliste par la rapidité du rétablissement de la jeune veuve, et ses attaques contre la tradition hypocrite du deuil et du cloître pour les veuves.(réponse à l’annonce de plan)

La Jeune Veuve traite d’un sujet grave en respectant la devise du classicisme « Plaire et instruire ». Par son originalité cette fable arrive à faire sourire, et à transmettre son message d’espoir, mais aussi à construire une satire de l’âme humaine (et féminine dans ce cas) toujours prompte à pleurer des proches, mais égoïste et facilement tentée par les plaisirs de la vie. (réponse à la problématique).

La leçon de vie transmise par La Fontaine se rapproche de l’épicurisme, et du « carpe diem ». Ronsard, un siècle plus tôt, présentait aussi les plaisirs de la vie comme devant être vécus sans réfléchir, et de manière égoïste. C’est encore le triomphe du bonheur, sur le malheur.(Ouverture)

(conclusion en trois parties avec réponse à l’annonce de plan, réponse à la problématique, et ouverture).

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1 commentaire sur “La jeune veuve, Livre VI, fable 21, La Fontaine, 1668, commentaire, analyse.”

  1. Coucou!! J’adore votre commentaire!! Je voulais juste vs dire qu’il ya une erreur de frappe dans l’axe I (UN recit vivant et original)

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